La notion de sens dans les apprentissages, retour réflexif sur l'essence de l'enseignement musical.

Aujourd'hui, on ne compte plus les offres d'apprentissages de la musique à notre disposition : les conservatoires, les écoles de musique, les centres sociaux, les cours privés ou associatifs, les orchestres, les outils numériques, les offres internet gratuites, semi-payantes ou payantes...jusqu'au morcellement de l'apprentissage porté par les écoles de musique lors du cours d'instrument, puis de FM, puis de l'ensemble instrumental ou vocal ou toute autre pratique collective.  Il faut faire et faire-faire de la musique, rendre actifs les élèves musiciens et multiplier,  diversifier les offres de pratiques musicales. L'on comprend bien qu'une telle démarche est portée par un souci d'exhaustivité dans les apprentissages, permettant l'accès à toutes les cultures, toutes les compétences, toutes les esthétiques... Pour autant, hélas, cette envie de "faire plus" ne s'accompagne pas forcément d'un "mieux faire". La dissolution de l'essence même de cet apprentissage peut, en effet, menacer gravement cette démarche de fractionnement exponentiel de l'apprentissage. Autrement dit, le pédagogue doit rester vigilant à ne pas faire l'économie du sens global des des enseignements de la musique, notion essentielle qui devrait prévaloir à toute démarche pédagogique. 

  • Le sens dans les apprentissages : une notion fondamentale ? 
La notion de sens plonge ses racines dans les attentes et demandes de chaque élève, en fonction de son âge, son environnement social, culturel et de son chemin de vie. Pour que les savoirs développés au fil d’activités puissent prendre écho, toucher du doigt cette notion en chaque individu, la posture de l’enseignant doit être adaptée donc réfléchie. Une posture qui doit d’abord s’appuyer sur la compréhension, l’écoute des envies qui animent nos élèves et qui évoluent à mesure que le sens devient plus ample, plus profond dans leurs pratiques respectives. Ces aspects doivent être travaillés dans différents contextes d’apprentissage et renforcés par une cohérence, une direction données vers des projets et des objectifs communs. Chaque élève apprend et s’approprie les types de savoirs de manière différente. C’est par l’élaboration de dispositifs pensés pour travailler sur ces différences et par la contextualisation des notions, leur transversalité, que le sens peut germer. Cette même transversalité peut être développée sous différents angles et notamment, le décloisonnement des esthétiques, visant alors à une ouverture, une polyvalence de l’élève et sa plus large transposition des connaissances. La mise en application d’une pédagogie dont l’élément central est l’activité mais dans laquelle un équilibre entre pratique et théorie est recherché favorise cette transposition. 
De même, parvenir à placer chaque élève en situation de recherche, d’expérimentation, l’amener vers une certaine autonomie, le confronter à des problématiques spécifiques des contextes d'apprentissage des pratiques collectives, privilégier les échanges, permettent à la trajectoire de l'apprentissage de gagner en souplesse et en profondeur.
  • Un champ essentiel dans cette construction du sens : l'idée de lien au sein des apprentissages ?

               Notre recherche commune est partie du constat que, d'après nos expériences, la notion de lien entre les apprentissages apparaît assez souvent négligée, parfois même oubliée.  Par définition,  le lien est ce qui établit entre des choses abstraite un rapport, en particulier logique ou de dépendance. Il  impose également une certaine contrainte permanente. Or lier intelligiblement les savoirs permet de favoriser le sens global des apprentissages au sein de l'expérience artistique pour tous les acteurs (enseignants, élèves, parents), en consolidant notamment le processus d’apprentissage (décrit par Philippe Meirieu en trois phases : identification, signification, utilisation[1]), et joue un rôle non négligeable dans le développement de la motivation.

[1] MEIRIEU Philippe, Apprendre, oui.. mais comment ?, ESF éditeur, Paris, 1987, p.55

 

 1. Le sens favorisé par les liens entre les disciplines musicales ? (Anne Bernard)

Prenons un exemple tout à fait concret engendré par le découpage, typiquement français, des connaissances musicales en disciplines distinctes, et notamment le partage théorie/pratique séparé entre formation musicale et formation instrumentale. Dans ce système, quel sens et quel intérêt peut être donné au programme théorique de FM s'il n'est pas directement en relation plus ou moins évidente avec les apprentissages pratiques d'autres disciplines ? Bien que l'histoire nous montre que cette discipline ait été remise en question de manière très importante notamment lors de sa réforme en 1977, que le contenu pédagogique de l'ancien solfège et ses exercices rébarbatifs qui ne faisait plus sens comme ils avaient pu le faire lors de sa création à la fin du XVIIIe siècle soit à présent totalement repensé et actualisé dans des projets d’envergures artistiques, la formation musicale a encore souvent du mal à s'imposer comme un cours central de l'ensemble des disciplines enseignées dans les conservatoires et écoles de musique associatives ou municipales. En effet, il semble que la question de lien entre toutes les disciplines n'est pas si facile à faire fructifier malgré son évidence. Plusieurs obstacles peuvent s'interposer : des collaborations pas forcément évidente entre toutes les disciplines et toutes les personnes, une évolution globalement non homogène des professeurs FM vers la "nouvelle école" faute de formation généralisé, une réelle fragilité des emplois qui a tendance à limiter le partage des connaissances professionnelles… La FM reste donc, 40 ans après sa réforme, souvent encore isolée dans de nombreuses structures. Heureusement, certains établissements ont réussi le challenge de reconstruire des liens et du sens autour de cette matière, notamment en région Rhône-Alpes.
 
Le Centre Musical Pierre Boulez à Riorges (42) travaille également sur l'évolution de cette matière, en accord avec les attentes et possibilités du terrain. Les principaux éléments de son cheminement, dont certaines idées en germes depuis longtemps commencent à prendre forme plus concrètement cette année, rassemblent des réflexions autour de la FM, une carte heuristique précisant ses teneurs, ainsi qu'une nouvelle proposition d’organisation au CMPB. Dans ce projet, les dispositifs permettant de consolider le sens dans les apprentissages, ou de faire du lien entre FM et Formation Instrumentale, sont privilégiés. Nous postulons notamment qu’ils peuvent émerger lors de projets communs aux disciplines (présentés en audition ou non), par le contenu des programmes FM et FI (avoir un sujet par an transversal aux disciplines, proposer des sources pédagogiques, …), par l’organisation (cours FM orchestre animé par 2 professeurs, FM rythmique  avec le professeur de batterie, orchestre avec le professeur de flûte, chant choral avec le professeur de clarinette, FMAO, You tube ...), par l’information (du programme de l’année, de séquences ou notions en cours d’étude), etc.
 

2. Notion de lien à travers les nouvelles technologies (julien Delavelle)

Parler de "l'exigence rythmique" que l'on peut avoir envers les élèves sans que ceux-ci ne comprennent pas pourquoi : "Ouais c'est bon j'y arrive à peu près" effectivement l'élève y arrive "à peu près" mais ne comprends pas pourquoi son professeur voudrait qu'il y arrive exactement. L'élève ne comprends pas le sens, l'intérêt, de s'efforcer à réaliser parfaitement un rythme, de taper la pulsation de manière régulière, de s'aider d'un métronome... L'utilisation des outils numériques peuvent apporter du sens à cet enseignement musical.

Les loopers (boucleurs) peuvent se révéler un formidable outil de travail pour cet enseignement musical. Ce n'est pas la première idée que veulent faire passer leurs utilisateurs lorsqu'ils l'utilisent en concert, à la télévision ou sur Youtube mais, son utilisation comme outil pédagogique est "porteuse de sens". Les élèves sont fan de ces video Youtube où l'artiste monte de toute pièce un morceau uniquement avec sa voix ou alors avec d'autres instruments. Ils leurs vient une envie d'imiter, de faire eux-même un morceau en s'enregistrant."Ben oui, c'est pas compliqué, tu chantes, hop tu tapes sur le bouton, c'est enregistré, tu retapes pour réenregistrer et après, tu mets ca sur le net."Au vu des explications des élèves, l'utilisation à l'air d'une simplicité évidente. Son utilisation en est tout autre.

Pour faire court, le principe du boucleur repose sur des boucles que l'on enregistre et que l'on superpose. Il faut donc que les boucles soient au même tempo, et que le déclenchement d'une boucle se fasse quand l'autre se termine si l'on veut que l'effet de superposition soit réalisé. Si l'élève n'appuie pas sur la pédale à la fin du cycle de mesure, les boucles sont décalées. S'en suit un travail de ressenti de la pulsation et de synchronisation des membres pour appuyer au bon moment. C'est à ce moment-là que l'élève se rends compte que la pulsation régulière est importante. S'ajoute ensuite la superposition des rythmes des différentes boucles. Si dans une boucle il y a "Quatre doubles croche" et dans une autre "croche pointée double", le looper va rapidement faire ressortir l'imprécision rythmique. L'élève va lui-même entendre que les deux rythmes ne se superpose pas et va se rendre compte que "croche pointée double" doit s'exécuter avec une certaine précision.Ceci est une utilisation des nouvelles technologies dans l'enseignement musical sur un sujet. Le looper peut-etre utilisé pour d'autres exercices comme la justesse, l'harmonie..Ils'utilise aussi bien en cours de formation musicale qu'en cours de formation instrumentale.

Les nouvelles technologies sont en plein essort et d'autres applications sont possibles pour que l'élève comprenne pourquoi il apprend. La carte heuristique des nouvelles technologies dans l'enseignement musical est une vision globale des différents outils et leurs applications que le professeur d'enseignement musical peut intégrer dans ses cours.

 

  3. Le sens donné aux apprentissages par le développement créatif ? (Alexandre Orlando)

Quels que soient l’instrument et l’esthétique musicale dans lesquels nous dispensons actuellement notre enseignement, une grande partie des supports au départ desquels nous tentons de donner du sens à l’apprentissage de nos élèves relèvent de la créativité d’autres musiciens et enseignants. Développer le potentiel créatif représente une proposition pédagogique pour pouvoir apporter une dimension nouvelle à cette notion de sens qui anime notre recherche. Par ce développement, l’élève est au cœur de son apprentissage car il élabore une partie de son programme de travail, les objectifs et les projets qui en découlent. C’est un contexte d’apprentissage à part entière qui lui permet de donner de l’ampleur au sens des connaissances qu’il a déjà pu acquérir, par leur transposition dans un cadre fait de liberté. L’expérimentation musicale offre à l’élève la découverte de possibilités, de savoirs qui se renouvellent et qui lui permettent d’amener sa créativité toujours plus loin.
                Pour tenter de travailler sur le développement créatif, une observation du développement génétique des conduites de création chez l’enfant et la description du concept « d’idée musicale » se sont avérées utiles pour donner une 1ère description des processus d'invention. Une démarche de compréhension sur les manières dont chaque élève (en fonction de son âge, du stade de développement dans lequel il se situe et des fonctions cognitives qui en découlent) construit son savoir par ses actions et interactions avec son environnement aura conjointement été menée par des recherches sur le constructivisme piagétien. Et par leur transposition dans l'apprentissage de la musique pour travailler plus en profondeur sur le processus de créativité. 
 La déclinaison de ce travail se matérialise actuellement dans une action menée au Centre musical Pierre Boulez de Riorges à travers l’ouverture d’un atelier de pratique collective dont les axes centraux sont la pratique du jazz et le développement créatif. L’apport d’exemples de séquences pédagogiques réalisées avec l’atelier (cf. doc. Pdf exemples de séquences pédagogiques) et de vidéos de prestations publiques réalisées au cours de l’année 2015-2016 permettent de rendre compte de cette action et des perspectives qu’elle ouvre. 
 

  4. Quel sens peuvent bien endosser les situations de pratiques collectives au sein de l’apprentissage musical ? (Stéphanie De Lucio)

A l’heure ou l’on entend parler tous azimuts de réduction de budget, de la nécessité de faire plus avec moins d’argent, les pratiques collectives apparaissent comme providentielles.Les bienfaits du faire de la musique ensemble, ou à plusieurs, pourrait-on dire (ce qui n’est toutefois, pas forcément la même chose) ne seraient plus à démontrer. Or en tant qu’enseignants nous avons l’absolu devoir de nous interroger sur le contenu des apprentissages des pratiques collectives musicales, voir de s’assurer qu’il y en ait. Comprendre ce qui est en jeu dans les pratiques collectives et définir l’importance qu’elles peuvent avoir pour donner plus de sens aux apprentissages, est la seule manière de les rendre légitimes et efficientes au sein des écoles de musique. Dans l’enseignement général, dans l’éducation nationale, l’apprentissage en groupe constitue la norme, il semble aller de soi. Néanmoins pédagogues, psychologues, chercheurs en sciences de l’éducation se sont interrogés dès le début du 20ème siècle sur l’essence même de cet enseignement à plusieurs, et de ses implications pédagogiques. Ceux que l’on a pris l’habitude de rassembler sous les dénominations de courant de l’école nouvelle ou encore des pédagogies actives, même s’ils étaient portés par des considérations singulières (cf Tableau pédagogues) ont eu des axes communs de questionnement : 

  • - L’activité de l’élève dans la construction de son apprentissage
  • - La place du réel et la fonctionnalité liées aux apprentissages
  • - L’école comme entité social

furent des préoccupations qui interrogeaient directement le fonctionnement de la classe traditionnelle. Les recherches en mécanismes de l'apprentissage, qui, d’une part mettaient en évidence le renforcement que constituait l’activité de l’élève dans l’élaboration de son savoir, le constructivisme, mais aussi l’importance des interactions entre les individus dans la construction de celui-ci, le socio constructivisme, venaient renforcer, accompagner cette volonté d’interroger les dispositifs pédagogiques traditionnels.

Dans cette triple approche, la classe traditionnelle est considérée comme fictive : elle ne fonctionne pas comme un groupe, ni dans ses apprentissages, ni dans ses interactions et ne se confronte pas au réel. La question du lien est posée : lien entre les individus, les apprenants ; lien avec le réel, aussi bien dans la chose étudiée, que dans le dispositif artificiel mis en place, mais aussi la relation, le lien, à l’enseignant et son rôle sont interrogés.

L’enjeu devient alors de faire agir un groupe d’individu dans le processus même de l’apprentissage, d’en observer le fonctionnement, d’optimiser ses points forts et d’éviter ses dérives. Désormais des propositions de dispositifs d’apprentissage en groupe, permettant de gérer l’ensemble de ces paramètres, peuvent émerger.

Philippe Meirieu prend en compte les différentes études et théorisations des pédagogies de groupe qui l’ont précédé (Cousinet, Freinet…) et conceptualise le Groupe d’apprentissage.  

 

Récit d'expérience : 

Comment donc revisiter les dispositifs pédagogiques des situations musicales collectives, aux vues de ces constats, études et propositions ? Professeur de chant lyrique au CRC d’Evian les Bains je souhaitais que les chanteurs soient davantage impliqués dans leurs apprentissages et dans leur pratique musicale. Il me semblait important qu’ils soient en situation d’une pratique amateur de référence et notamment en contact avec divers musiciens. Je me suis donc servi des propositions de Philippe Meirieu pour créer un « atelier-mêlé » réunissant chanteur et pianiste sous la forme d’un groupe d’apprentissage.

Ma posture d’enseignante était à repenser. Dans l’élaboration des ateliers j’ai dû définir les objectifs d’apprentissages visés pour chaque participant, imaginer une tâche, édicter des consignes et fournir les ressources nécessaires à l’exécution de celle-ci.   Lors des ateliers, mon rôle est celui de régulateur, devant s’assurer que l’ensemble du dispositif est compris et respecté, aussi bien dans l’exécution de la tâche que dans l’échange entre les apprenants : s’assurer de l’émergence d’un conflit socio-cognitif lors d’échanges équilibrés.


  • Bibliographie générale

Voici ici notre bibliographie.

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