Musique et partage en maison de retraite



Printemps 2018, nous sommes deux étudiants du Cefedem Auvergne-Rhône-Alpes à proposer régulièrement des moments musicaux à la maison de retraite les Coralies en Isère. 

C'est l'occasion pour les résidents de se faire offrir des « cadeaux musicaux », de chanter ensemble, de danser les danses des bals d'autrefois, mais aussi de partager des anecdotes, des souvenirs, des petites discussions avec des personnes extérieures.
 
Notre proposition de départ a été faite à l'animatrice de la maison de retraite, puis au directeur. Nous nous sommes présentés et leur avons énoncé ce que l'on aimerait faire dans leur établissement. 
 
Nous sommes tous deux étudiants au Cefedem, Jenny est violoniste et nyckelharpiste de musique traditionnelle, Kévin est pianiste classique. Nous avons une action musicale à faire auprès d'un public extérieur. Nous avons choisi cette structure et ce public car l'animatrice de cette maison de retraite avait l'air particulièrement entreprenante et motivée par les projets musicaux, elle avait contacté Jenny pour qu'elle vienne jouer quelques mois auparavant, nous en avons alors profité pour proposer notre projet : 6 ou 7 séances de musique, où nous ferions des courts moments de concerts, des chansons d'autrefois à fredonner ensemble, des chansons traditionnelles, de la découverte d'instruments. 
 
Nous imaginions que ce genre de proposition serait adapté à ce type de public, inhabituel pour nous et qui peut faire peur : nous nous formons à être des musiciens-enseignants, et n’avons que peu de connaissances des publics dits empêchés. Ce public nous mettait dans une posture de musiciens différente de celle dont nous avions l’habitude. Le contexte de cette institution nous demandait implicitement de mettre en place un type de relations particulier avec les résidents, ce que nous n’avions pas prévu.
 
En réalité, nous avons proposé d'autres choses que nous n'aurions pas imaginées au démarrage de ce projet. Les attentes de la structure, le personnel, les résidents et le contexte-même de la maison de retraite nous ont en effet permis d'avoir une proposition plus large que celle dont on se croyait capables.
 
Ici la vidéo du rituel de début de séance que les résidents que s’étaient appropriés : un chant en canon, rythmé de petites percussions.
 
 
 

Un public nouveau et inhabituel 

Nous avions quelques appréhensions avant de commencer cette action. L’univers de la maison de retraite renvoyait à des tabous, à l’image d’un public peu avenant, peu réactif, sans énergie et avec en toile de fond, leur mort prochaine, leurs jours comptés. 

In situ, nous avons effectivement trouvé des personnes en très mauvais état, peu réactives, malades, n’ayant parfois plus pour certains la possibilité de parler et de communiquer. Ils n’avaient d’ailleurs pas pour habitude d’accueillir des intervenants musiciens.

Mais il y avait aussi un bon nombre de personnes encore capables de chanter, de danser, de communiquer des sentiments, de raconter des souvenirs et d’engager des discussions entre eux et avec nous. Ces résidents nous aidaient beaucoup à tenir une dynamique durant les séances. Selon les jours d’intervention les groupes changeaient et l’adhésion au dispositif était plus ou moins rapide et perceptible à nos yeux.

D’ailleurs, certaines séances nous paraissaient avoir rencontré peu de répondant, mais le personnel, qui connaissait mieux que nous les résidents et leurs pathologies nous faisait un retour qui ne correspondait pas forcément à notre ressenti : ils nous assuraient que nos propositions avaient bien fonctionné. 
Nous avons dû faire face à des réactions et à des comportements qui nous mettaient parfois mal à l’aise, mais qui aussi, du fait des pathologies et des décalages qu’elles entraînent, nous confrontaient à des situations cocasses, dont nous nous extirpions grâce à l’humour.

Nos interventions se partageaient en deux moments d’environ 40 minutes : une première partie dans l’unité protégée (petit groupe de personnes ayant besoin de plus d’attention et de soins, et vivant à part dans leur maison de retraite, leurs pathologies pouvant induire des comportements dangereux) et une deuxième dans l’EHPAD, avec un groupe beaucoup plus important. 

Nous avons dû par exemple réagir à certains comportements, notamment dans l’unité protégée : lors d’une séance où nous tentions de recueillir de la part des résidents des souvenirs agréables afin d’alimenter l’atelier des bols chantants, nous nous sommes heurtés au manque de mémoire. En l’occurrence, Martha*, espagnole d’origine, était arrivée en France pour fonder une famille et avait appris le français à ce moment. La maladie a effacé toute la partie française de sa vie et elle ne pouvait plus s’exprimer qu’à travers quelques bribes d’espagnol. Il lui était difficile de prendre part à cet atelier comme à beaucoup d’autres, exceptés les moments de danse pour lesquels elle montrait un enthousiasme très communicatif. Dans cette vidéo, on voit en bas à gauche de l’image que Kévin passe par l’espagnol pour aider Martha à se joindre à la proposition du récit du souvenir agréable.
 
 
 
 
Un autre aspect déstabilisant pour nous venait du fait que nous en savions très peu sur les pathologies respectives. Quelques fois, lors des moments de débriefing, l’animatrice nous précisait que les comportements un peu particuliers auxquels nous avions eu affaire étaient dus à une phase de la maladie. Si les maladies n’étaient pas nommées, de notre côté, nous rendions bien compte que la mémoire et la cohérence des échanges étaient défaillants.
Alors, nous nous interrogions : quelle conscience ont-ils de ce moment que nous proposons ? Que ressentent-ils ? Que retirent-ils de notre intervention ? Qu’arrivons-nous à leur donner ?

Ces questionnements autour de la réception et du don sont assez communs dans notre activité de musiciens, toutefois, ils se posaient ici différemment et de façon plus accrue : dans le moment vécu nous sentions un échange de plaisir, une forme de sociabilité retrouvée qui pouvait peut-être s’éteindre juste après. 
 
 


 
Lors d’une séance, nous installions notre matériel et nos instruments. Les résidents, en cercle, attendaient le début de la prestation. Une femme âgée, que nous appellerons Monique, s’exprimait à voix haute et avec insistance : « Il est où mon mari, dites… il est où est mon mari ? ». Elle était fidèle à nos interventions et assez communicative : de fait, nous savions que son mari était décédé depuis plusieurs années. Il nous était difficile de lui répondre, craignant d’être indélicats. Une soignante lui a alors répondu : « Mais Madame, votre mari, vous savez… il est mort depuis longtemps déjà ! », ce à quoi elle rétorqua avec un détachement inattendu : « Ah ben tant mieux ! comme ça il me cherchera pas ! ». Des situations comme celle-ci, nous en avons vécu plusieurs. Nous avons alors réalisé que ce qui pouvait nous paraître grave, sensible, douloureux, était en réalité, pour certains résidents plus désinhibés, banal et admis. Ce n’était pas grave.

Lors d’une séance, nous installions notre matériel et nos instruments. Les résidents, en cercle, attendaient le début de la prestation. Une femme âgée, que nous appellerons Monique, s’exprimait à voix haute et avec insistance : « Il est où mon mari, dites… il est où est mon mari ? ». Elle était fidèle à nos interventions et assez communicative : de fait, nous savions que son mari était décédé depuis plusieurs années. Il nous était difficile de lui répondre, craignant d’être indélicats. Une soignante lui a alors répondu : « Mais Madame, votre mari, vous savez… il est mort depuis longtemps déjà ! », ce à quoi elle rétorqua avec un détachement inattendu : « Ah ben tant mieux ! comme ça il me cherchera pas ! ». Des situations comme celle-ci, nous en avons vécu plusieurs. Nous avons alors réalisé que ce qui pouvait nous paraître grave, sensible, douloureux, était en réalité, pour certains résidents plus désinhibés, banal et admis. Ce n’était pas grave.
 
 
Musique ou musicothérapie ? 
 
A notre grande surprise, notre première séance était annoncée comme une séance de musicothérapie
Nous ne nous sentions pas du tout thérapeutes et nous nous sommes demandé ce que l'on attendait vraiment de nous. Qu'est-ce que l'on entend par musicothérapie ? Dans musicothérapie, il y a « musique », là on se reconnaît, mais aussi il y a « thérapie », et là ça peut faire peur... 

Quelle posture doit-on adopter ? Doit-on se transformer en magiciens pour leur procurer un mieux-être ? Qu’est ce qui va se passer si l’on joue notre musique alors qu’ils espèrent de la musicothérapie ? On n’a jamais soigné les gens avec notre musique. 
 
Beaucoup de questions se posaient, sans toutefois nous freiner dans notre volonté : ce n’était peut-être si compliqué.
 
Dans les faits, nous nous sommes vite rendus compte que l’essence même de la musique était bienfaitrice, de même que notre présence venue de l’extérieur.
 
Nous nous renseignons d'une séance à l'autre sur ce qu'est la musicothérapie, et soucieux de répondre en partie aux attentes de la maison, nous décidons de tenter une séance de bols tibétains lors de la séance suivante. Nous sommes curieux d'introduire cette nouvelle chose qui n'est absolument pas notre spécialité, un peu anxieux … et puis étonnés, car l'effet est assez immédiat : les bols calment, rassemblent, et imposent rapidement une atmosphère douce et sereine au sein du groupe. On invite les résidents à déposer une pensée agréable, un souvenir positif sous forme de petit papier anonyme dans les bols avant de passer à autre chose. Le moment de partage est grand, certains nous livrent des déclarations d'amour, d'autres des anecdotes très précises de leur passé, d'autres encore nous remercient simplement d'être là.
 
 


Souvent, sur le chemin du retour en voiture, nous discutions de la séance et en définitive, si nous ne nous sommes jamais positionnés comme musicothérapeutes, nous leur faisions du bien et nous étions attendus la fois suivante, comme un moment de grande joie sociale et partagée. 
 

La volonté de ne pas renoncer à nos esthétiques musicales 

A chaque séance, Jenny, qui est spécialisée dans les musiques traditionnelles, a proposé quelques airs de violon et de nyckelharpa à écouter et à danser, ainsi que des chants régionaux à chanter ensemble. 

Les résidents ont pu danser des valses, des mazurkas, des scottischs et des javas traditionnelles, ce qui leur a rappelé les bals de leur jeunesse et qui ont amorcé des discussions. Certaines femmes racontaient comment elles avaient fait le mur pour rejoindre leur amoureux au bal, malgré l’interdiction des parents. D’autres nous confiaient comme elles furent courtisées pour être de bonnes danseuses et pour faire des concours de danse. Parfois, leur récit n’était pas dénué d’exubérance et de surenchère : on se demandait alors à quel point les souvenirs avaient laissé place à des anecdotes romancées.

Un autre moment récurrent de musique traditionnelle se faisait autour de chansons issues de collectages de leurs régions, relatant de fêtes calendaires, de vieux métiers et d’animaux de leur campagne. Ces chants à répondre ou énumératifs ont été l’occasion de réflexions et de valorisation de la transmission des anciens aux plus jeunes. 
 

 
 

Exemple d’une transmission amusante d’une chanson énumérative de leur région
 
 


Kévin, pianiste classique, a souhaité proposer des morceaux issus du grand répertoire : Bach, Beethoven, Chopin, Fanny Mendelssohn. Certaines de ces pièces leur étaient connues, et au fil des séances, ils passaient commande pour le rendez-vous à venir : ils apprécieraient entendre telle œuvre en particulier. Une résidente avait une culture classique très développée et attendait ce moment de musique avec impatience. Elle en profitait pour nous parler de ses enfants, qui avaient tous pratiqué la musique en conservatoire et qui avaient baigné dans cet univers classique.

Ses réactions très passionnées suscitaient l’enthousiasme des autres résidents : tour à tour ils se mettaient à interagir.
 
 


 
Certaines pièces du répertoire classique étaient aussi propices dans ce contexte à des moments de danse
 
Nous avions à cœur de partager la musique que nous jouons tous les jours et qui fait notre vie de musicien. Constatant qu’elle était bien reçue, puis ensuite réclamée, nous lui avons gardé une place particulière à chaque séance. 
 
Nos esthétiques, nos expériences et nos parcours différents se sont avérés être des atouts importants dans nos interventions. Nous avions plaisir à préparer les séances et à découvrir l’un de l’autre des musiques qui cohabitaient sans peine. Dans ce contexte il apparaissait clairement que le cloisonnement habituel des esthétiques musicales n’avait plus de sens.
 
 
Pour conclure
 
Cette expérience nous a permis d’entrevoir notre profession dans toute sa richesse et sa souplesse : en effet avons développé lors de cette action une ouverture nouvelle au métier d’enseignant-musicien que nous pourrons poursuivre dans le futur : seul, avec nos projets musicaux ou même avec des élèves.
 
Si la médiation culturelle peut revêtir des aspects un peu complexes qui peuvent nous sembler loin de notre métier de tous les jours, avec des démarches administratives fastidieuses, il se trouve que l’action culturelle en elle-même est accessible, vivante et simple à réaliser.  
 
A l’issue de cette pratique, il nous parait essentiel de faire entendre que de telles actions ne sont pas risquées et qu’on peut les encourager : à notre niveau, on peut ainsi faire émerger les injustices sociales.

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