Enseigner la musique n°5

Couverture - ELM 5
Date de parution: 
février 2002
Editorial: 

Dans les précédents éditoriaux, nous évoquions la nécessité que l’enseignement de la musique s’affirme comme un champ de recherche spécifique. Il serait bien sûr nécessaire qu’un programme de recherche approprié enregistre et diffuse les travaux menés sur l’enseignement (et l’apprentissage) de la musique au départ des approches disciplinaires déjà réalisées, en France comme à l’étranger – travaux musicologiques, pédagogiques, psychologiques, sociologiques, historiques, anthropologiques. Ce serait un premier pas qui, comme tel, pourrait enrichir les programmes de formation des professeurs de musique, tout comme les enseignants en exercice soucieux de réfléchir sur les conditions de leur profession. Un tel programme n’existe pas en France aujourd'hui.
Mais il faudrait aller plus loin : la recherche sur l’enseignement de la musique doit pouvoir dépasser la simple superposition des approches disciplinaires traditionnelles et se constituer en objet d’analyse singulier. Elle doit permettre d’interroger les divers contextes d’enseignement et d’apprentissages, comparer les approches des divers modes d’acquisition, creuser la complexité des motivations (celles des enseignants comme celles des élèves), interroger le cœur des pratiques de transmission, analyser les conceptions qui continuent à marquer l’élaboration des cursus. Elle doit nouer les fils d’un dialogue professionnel trop longtemps confiné dans les spécialisations instrumentales, mettre en réseau les expériences et les réflexions, aider au développement d’une nouvelle identité professionnelle des professeurs confrontés depuis quelque temps déjà à de nombreux défis. Surtout : cette recherche doit avoir du cœur, porter du sens, permettre des espoirs nouveaux à l’heure où l’éducation musicale spécialisée s’est à ce point développée, signe d’un désir de musique inédit jusqu’ici. Bref : l’enseignement spécialisé de la musique peut et doit travailler sa singularité, non pour revendiquer sa différence - c’est un exercice qui conduit souvent à reconduire sa propre satisfaction -, mais pour enrichir la réflexion éducative de ses réelles spécificités, et ce à l’heure où le projet de démocratisation de l’éducation semble susciter de nombreux doutes.

Voici donc la cinquième livraison d’Enseigner la Musique. Nos lecteurs auront remarqué que le rythme de parution de ces cahiers de recherches est quelque peu aléatoire : nous ne chercherons pas à nous en excuser. Il y a toutefois, dans cette intermittence, deux ou trois choses à méditer.
D'abord que l'enseignement de la musique peine à devenir un objet de recherches, alors que près d’un million d’élèves fréquente une école de musique de manière hebdomadaire. Les questions posées au secteur spécialisé de l'éducation musicale se sont multipliées dans le mouvement même de démocratisation de l'accès à la pratique musicale : pour autant, il n'existe pas de cadre, ni de moyens spécifiques, pour les traiter. Avec de maigres moyens, Enseigner la Musique constitue une invite à la construction d’un tel chantier. Mais cette publication demeure artisanale, son caractère volontariste ne pouvant compenser le manque de réseaux structurés à travers lesquels les professionnels pourraient débattre.
Car si la recherche suppose des moyens matériels, elle nécessite aussi des ressources humaines, et plus particulièrement une communauté de “ chercheurs ” s'associant autour d'un objet et le fondant comme tel, petit à petit. C'est là un deuxième problème, car on ne saurait imaginer une telle recherche sans la participation des praticiens, ni sans la rencontre de ceux-ci avec des experts venus d'autres horizons. Pour l'heure, il n'y a guère d'occasions de réunir en une telle configuration enseignants de musique et experts d'autres disciplines. Le “ praticien-réfléchi ” demeure donc obligé de mener seul ses interrogations, au hasard d'heureuses rencontres ou de circonstances favorables. Enseigner la Musique souhaite développer la circulation d’une réflexion professionnelle : c’est pourquoi nos lecteurs trouveront ci-après un appel à nous adresser quelques lignes, ou plus, à travers lesquelles ils racontent une expérience pédagogique, livrent des informations sur des recherches en cours ou proposent à leurs collègues des pistes de travail. Ceux qui le souhaitent peuvent nous contacter afin que nous fassions leur interview ou que nous aidions une équipe à formaliser une communication écrite au départ de projets réalisés dans leurs établissements. Le prochain numéro sera consacré à de tels récits d'expériences et aux préoccupations de nos lecteurs. Pour lancer cette proposition, quelques témoignages de ce type sont publiés dans le présent numéro. Ils ne constituent pas des “ modèles ” rédactionnels - bien d'autres types de communications sont possibles -, mais ils peuvent permettre d'imaginer combien serait précieuse pour notre communauté professionnelle la circulation de tels récits.

Les évolutions considérables des techniques de production de la musique interrogent simultanément les définitions esthétiques et les modes de transmission des savoirs et des savoir faire. L'éducation musicale doit-elle s'émanciper de la forme scolaire et se déployer autour de “ centres de ressources ” aux missions plus larges - et plus instables ? Ou est-ce le concept d'école lui-même qui doit évoluer et rompre avec la vision “ classique ” qui limite son rôle à celui d'un enseignement initial pensé pour une pratique ultérieure ? Dans ce cas, disposons-nous de modèles pour penser, dans la diversité, un réel encadrement des pratiques d’amateurs ? Les écoles de musique peuvent-elles devenir des lieux d'aventures musicales ouverts à tous, à tous les âges de la vie ?
La musique n'existe pas “ en soi ”, mais en référence à un environnement particulier. Les contextes d'apprentissage sont dès lors déterminants : comment penser les cursus, comment impliquer plus régulièrement les élèves dans des travaux pratiques, en leur demandant de bâtir, au départ de ceux-ci, les éléments de cette “ théorie ” souvent vécue comme rébarbative ?
Comment penser une culture musicale plus diversifiée, plus “ active ”, peut-être plus multiculturelle, métisse même, à l'heure où affluent à l'école de musique des demandes de nature nouvelle ?
On le voit, les thèmes de travail ne manquent pas. A vos plumes donc, avec notre aide si vous le souhaitez. Cette année 2003 s'ouvre pour nous avec ce numéro 5 d’Enseigner la Musique : puisse-t-elle s'achever sur un numéro 6 copieux, résonnant de vos témoignages.

 

Jean-Charles François et Eddy Schepens

 

Sommaire: 

Improviser dans les règles : de l’improvisation comme d’une question culturelle
Denis Laborde

L'identité professionnelle de l’enseignant
Gérard Guillot

Histoire de la musique et musiciens : les formes d'un dialogue
Rémy Campos

Comment penser le temps dans l’enseignement artistique spécialisé ?
Colloque de Villeurbanne, février 2002

La gestion du temps dans l'enseignement artistique
Martial Pardo

Fenêtres sur le temps
Michel Cukier

A propos du temps dans l'école de musique
Eddy Schepens


Récits d’expériences, analyses, réflexions

Réflexions d’un enseignant
Pascal Pariaud

La pratique de la musique d’ensemble, moteur de l’école de musique de Anse
Karine Hahn

L'écriture instrumentale en deuxième cycle, ou le bricolage de l'arpège
Hélène Barré

Informatique et enseignement de la musique
Philippe Cholat