Atelier "Bidouilles sonores" au RIZE


Les balbutiements :

 
Nous avons souhaité nous engager dans une action de médiation avec le Rize et le Centre de Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes. Structures qui nous ont attiré par leur engagement culturel local, par leur volonté de penser le patrimoine comme un objet social. Cependant nous ne connaissions pas tous les aspects de ces structures ni tout ce qu’elles pouvaient proposer. Sans idée spécifique nous avons alors commencé par prendre connaissance des différents engagements des structures lors d’un premier rendez-vous avec Laura Jouve-Villard (Responsable de l’action culturelle au CMTRA) et Laura Tamizé (Responsable de l’action culturelle au Rize).

L’objectif premier de ces institutions est la mise en valeur d’un patrimoine local et cet investissement était au cœur de la “Semaine des Patrimoines Vivants” initiée par le Rize et le CMTRA. Le thème de cette édition était “Les Instruments Voyageurs”, en lien avec un travail de collectage et de recherche autour des pratiques musicales villeurbannaises. Cette thématique s’est alors imposée comme un cadre cohérent duquel nous pouvions nous emparer. Les structures avaient collecté des enregistrements de témoignages de musiciens amateurs et professionnels villeurbannais qui présentaient leurs instruments et pratiques musicales, ancrées dans des localités variées, de la France et du monde. Les collectages réalisés par le CMTRA sont généralement archivés puis consultables, mais une des difficultés rencontrées par la structure est celle de leur mise en valeur auprès du public villeurbannais. Et, bien que ces témoignages soient utilisés comme support des expositions, ils existent rarement en tant qu'objets en eux même.

Comment présenter la variété des pratiques instrumentales à un public de villeurbannais.se.s sans nécessairement “muséifier” ces objets sonores, ces récits de vie musicale/sociale ? Un des enjeux du projet était donc de tenter de donner vie à ces collectages. Une idée forte a alors émergé, celle d’utiliser cette matière sonore pour donner l’occasion à des villeurbannais.e.s de créer une pièce de musique électro-acoustique. Passant alors d’une conception d’un public a priori “passif” face à ces témoignages, à celle d’un public “actif”. Et c’est bien le but de cette collaboration constante entre le Rize et Le CMTRA qui se manifeste entre autres, par la “semaine de patrimoines vivants”. Le Rize étant un lieu de diffusion et le CMTRA un lieu d’archive, de recherche sur le patrimoine traditionnel. 
 
Marin : La question de la réussite de ce contact est délicate puisque l’expérience sonore a finalement pris le pas sur l’aspect de la rencontre avec le récit, et en même temps des extraits ont été exploités, ont pris vie dans une création collective.

Depuis le départ, nous avions la volonté de travailler avec un public non captif. Nous nous sommes alors heurtés à la complexité de penser un dispositif qui s’adresse à un large public, et assez vite, on s’est rendu compte que proposer à tout le monde revenait à proposer à personne. Il allait donc bien falloir trouver des entrées particulières. C’est pourquoi nous avons progressivement glissé vers l’idée que si on ne pouvait pas rassembler la ville entière on pouvait se faire rencontrer des gens qui n’étaient a priori pas amenés à se rencontrer et particulièrement un public de musiciens et de non musiciens. En tous cas, nous avions vite senti le besoin d'une double rencontre. C'est pourquoi nous avons finalement décidé de faire participer des élèves de l'Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne, souhaitant modéliser par cette action le tissage d’une rencontre entre Villeurbannais et étudiants musiciens. D'une part avec le désir de faire bénéficier aux Villeurbannais des compétences musicales et techniques des étudiants mais aussi de permettre à ces musiciens de se projeter dans un rapport au public, basé sur le partage de compétence, dont ils n'ont pas l'habitude, et par ailleurs de leur permettre de prendre connaissance du travail du CMTRA.

Nous avions donc à ce moment-là une idée assez précise du projet et nous pouvions commencer à construire plus concrètement l’atelier en lui-même. Dans sa forme définitive, l’atelier consistait donc en une journée de création/improvisation électroacoustique avec une restitution dans la salle de spectacle du RIZE. Un groupe constitué de musiciens spécialisés et de villeurbannais collaboreraient pour créer un moment musical à partir d’une matière sonore unique : des collectages sur les instruments voyageurs à Villeurbanne. Notre rôle consisterait alors à mener l’atelier à travers différents travaux d’improvisation durant la journée.

Description de l’atelier diffusée par le RIZE: Communication du RIZE pour l'atelier "Bidouilles sonores"
 

Le jour de l’action :

 

Lorsque l’on rentre dans la salle de spectacle du RIZE, on peut apercevoir sur la scène une installation intrigante :
Des tables disposées en arc de cercle, faisant face aux gradins, et garnies de toutes sortes d’objets sonores, micros, machines, contrôleurs, ordinateurs, synthés…

Un temps de présentation des participants a permis d’établir un premier contact entre les membres du groupe. S’en est suivi un bref temps de présentation du dispositif ainsi que des espaces de travail, des différents types d’instruments et d’extraits sélectionnés. Nous n’avons cependant pas souhaité en dire trop sur les extraits et nous avons précisé de quel instrument ou répertoire il s'agissait uniquement au hasard des écoutes, et lorsque des questions survenaient. 

 
graines_micro.jpg

Romain : Au départ nous avions posé une condition d'âge de minimum 16 ans, cependant une des participantes est venue avec ses enfants qui au final se sont avérés être réellement moteurs de la construction de cette création sonore !

Dans un second temps, nous avons présenté de manière plus détaillée des outils informatiques et électroniques ainsi qu'à leur prise en main, épaulés par les élèves de l’ENM. Nous avons laissé pas mal de temps aux participants pour découvrir ces machines avant de lancer les premières improvisations. La salle de spectacle du RIZE était mise à notre disposition pour la restitution et c'était l'occasion d'impliquer directement les participants dans une réelle restitution scénique. Multipliant alors les types de contacts avec ces collectages, celle des participants d’abord, et, dans une autre mesure, celle des spectateurs.

Pour un descriptif plus détaillé des différents postes sur la scène : Description des postes

Une grande partie de la journée a été consacrée à du travail de groupe avec des exercices d’improvisation. Au travers de ces exercices, nous avons essayé de susciter une écoute et une communication dans le groupe. Nous avons passé beaucoup de temps sur trois exercices en particulier dont les consignes sont détaillées ici : Consignes d'improvisation

La journée s’est terminée par une restitution des improvisations pensées, organisées par les participants, devant un public d’une dizaine de personnes glané dans l’espace du RIZE, médiathèque, hall... Le concert était composé de 3 improvisations distinctes dont une menée par un des participants structurants les intensités, types de sons et la forme de la pièce par des gestes et des paramètres musicaux qu’ils avaient définis ensemble. 
 

Des machines et des hommes:

 


Pour chaque table dotée d’un dispositif numérique ou électronique particulier, il y avait un expert-complice musicien (élève de l’ENM) afin d’apporter, entre autres, des conseils sur l’utilisation du matériel, d’une réelle complexité pour un néophyte. Nous avons agréablement constaté que les élèves experts ne se sont pas imposés comme maîtres du matériel, mais ne se sont pas non plus cantonnés à un rôle de superviseur. Ils étaient à la fois musiciens “bidouilleurs” expérimentés, et accompagnants dans la découverte de ces curieux instruments et de leurs innombrables possibilités.

Romain : Ils avaient parfois du mal à exploiter leur potentiel et trouver leur place. Avons-nous été suffisamment clairs et transparents quant à leur rôle dans cet atelier ?

Quand bien même nous avons été ravis de la collaboration entre les participants, nous avons eu des retours sur certaines frustrations ressenties par les élèves de l’ENM, habitués à utiliser les machines de manière très pointue.
 
Marin: Une réelle collaboration s’est mise en place entre les différents participants ce qui à contribué à créer une sorte de complicité au fur et à mesure des improvisations et de la journée. Ils faisaient de la musique ensemble!

Les participants néophytes se sont emparés des machines avec beaucoup de curiosité. Nous avions peur qu’ils se sentent décontenancés par tout ce matériel et la technicité qui va avec, mais il s’est avéré qu’ils ont été très enthousiastes. Leur appréhension initiale de ces machines complexes disparaissait peu à peu. Parmi eux se trouvait même une dame qui disait n’avoir “jamais utilisé une souris d’ordinateur” ! Si au départ elle montrait une certaine peur de ce monde informatique, elle a cependant peu à peu réussi à s’emparer des outils en explorant leurs possibilités sonores. Nous les avions encouragés à tester des choses, tester différentes combinaisons de paramètres, modifier la longueur des samples et expérimenter. Les élèves experts les accompagnaient également dans ce sens. 

A la fin de l’atelier, nous avons reçu la remarque de plusieurs participants que celui-ci était trop court. Il est vrai qu’une seule journée pour appréhender les machines, la matière sonore, et la construction de groupe est évidemment trop courte. Nous nous confortons dans l’idée que cet aperçu, même si trop court, leur donnera envie de s’y essayer un peu plus dans d’autres contextes ou bien d’avoir une autre approche de ces objets musicaux. Cela aura en tous cas permis de réunir des gens autour d’un objet qu’ils ont eu l’occasion de co-construire.
 

Le temps des interactions: 


Un des aspects qui semble avoir le plus posé problème, ou en tous cas limité certaines interactions, est le fait que la disposition des enceintes (une paire par table) ne permettait pas une projection dans un ensemble. Chacun s’est attelé à tester les boutons et à observer les sonoritées possibles à l’aide d'un expert-complice mais nous ne sommes pas parvenus à initier dès le début une réelle conscience collective de l’objet sonore comme nous l’avions imaginé. Cette approche individuelle semble également avoir pour cause une  première prise de contact avec les samples et instruments de manière isolée pour chaque table, indépendamment du grand groupe. En même temps, il semblerait que ce temps de découverte était nécessaire mais nous ne l’avions peut être pas envisagé si long. Le temps de l’expérimentation en groupe des interactions musicales s’est donc avéré très court. Il semblerait par ailleurs que les installations étaient peut être trop complexes et trop permissives : elles donnaient la possibilité de se perdre dans d’innombrables combinaisons d’effets.  Entre chaque session d’improvisation, nous avons débriefé ensemble sur ce qui selon eux marchait ou non, et il est apparu que l’écoute de groupe n’était pas si évidente que ce que nous avions supposé. Nous avons alors pris un temps pour discuter en groupe des interactions musicales entre les participants et comment les susciter, y être attentif, etc... Certaines solutions ont émergé de la discussion, et les musiciens se sont petit à petit familiarisés à l’écoute collective.
 


Jules (participant élève en musiques électroniques à l'ENM de Villeurbanne) : Ce qui a semblé difficile tout au long de la journée, c'est que chaque poste avait ses propres enceintes et donc tout le monde était absorbé par ce qu’il faisait, le son et le logiciel, et il était très compliqué d’avoir l’attention du grand groupe. La plupart du temps on avait l'impression que les gens étaient en train d'essayer de résoudre un problème technique et qu'ils avaient du mal à se projeter dans la musique qui était faite ou allait être faite par l’ensemble du groupe.

Une bascule intéressante s’est opérée lorsque nous avons proposé qu’un ou plusieurs participants volontaires dirigent le groupe. Certains se sont prêtés au jeu, et ces “chefs” improvisés devenaient de véritables points de focalisation de l’attention des musiciens. Par le simple fait d’obliger les participants à sortir la tête de leurs machines et de leurs postes, cette expérience à débloqué chez eux une prise de conscience de leur environnement sonore. Une vigilance dans le regard s’est d’abord installée, et a mené petit à petit vers une écoute de groupe.

Marin: Dans notre première idée, ces contraintes d’improvisation pouvaient être des entrées et nous pensions que les participants auraient pu ensuite définir eux même des contraintes en fonction de ce qui fonctionnait mieux ou moins bien. Malheureusement le temps a manqué. Mais les participants ont ensuite défini ensemble une forme assez précise pour une des improvisations. A ce moment-là ça a vraiment bien fonctionné, en posant ce cadre ils ont pris des décisions de musiciens!

La fin de journée nous a paru rapide et chacun a semblé un peu frustré de voir s’arrêter la construction des liens humains et musicaux entre les participants, de cette complicité initiée par l’invention collective. Le petit déjeuner de bienvenue et la pause de midi nous ont permis de prendre connaissance les uns des autres et ce temps primordial a été ressenti par beaucoup d’entre nous comme trop court, en tous cas il se passait quelque chose entre nous tous réunis autour de cet atelier et nous avons eu envie de plus. En tant qu’encadrants nous avons peut-être été pressés par l’idée de la représentation finale et que certains temps moins “productivistes” auraient pu être prolongés.

Les participants ont cependant montré une certaine satisfaction à pouvoir jouer devant un public, en tous cas, il y avait dans cette restitution une énergie et une attention particulière. Pour la plupart, c’était la première fois qu’ils montaient sur scène, qu’ils se retrouvaient face à des spectateurs. Lors de la présentation finale, l’écoute semblait différente. La conscience de l’ensemble, trahie par les regards attentifs et les interactions musicales, se manifestait plus franchement. Nous avons eu la sensation que les participants découvraient le sens de leurs bidouilles. L’objet sonore produit par l'ensemble et réunissant chaque individu, chaque sonorité, commençait à “résonner” plus fortement dans ce moment de partage.

La restitution a été présentée au public comme aux participants pour ce qu’elle était, à savoir la présentation d’une expérience autour d’une création commune sur une journée. Cela a permis une perception bienveillante, à la fois des participants envers leur travail et du public envers la restitution. Il en a résulté une expérience scénique humainement intéressante. Le public, alpagué dans la médiathèque du Rize, s’est montré attentif et pas particulièrement choqué par cette “drôle de musique”. D'ailleurs on aurait bien aimé pouvoir discuter avec le public à l'issue de ce moment, savoir ce qu’ils en ont perçu.

Extrait de la restitution
 

Enjeux et pratiques : Le patrimoine, mort ou vif ?


Violaine : Petit à petit ces collectages sont devenus ni plus ni moins qu’une matière sonore, de laquelle un nouvel objet est né grâce à la collaboration des villeurbannais.es présents.es.

Un des enjeux importants de cette journée était de permettre à un public n’ayant pas de “relation stable” avec la pratique musicale, de s’emparer d’outils et d’objets musicaux qui sont, dans les représentations collectives, souvent considérés comme complexes ou inaccessibles. A plus forte raison ces pratiques de musique électro-acoustique, sont peu représentées en live, ou dans des milieux fermés, et font partie de ces objets mystérieux qui surgissent d’un “génie fou” caché derrière un poste de radio. Et de ce côté là, il semble bien que le dispositif ait fonctionné. Certains participants ont même émis l’idée à l’issue de la journée, de se lancer par la suite dans une pratique autonome de la musique électronique, qui jusque-là les intéressaient visiblement, mais leur faisait peut-être peur. 

Par ailleurs, et nous y tenions, par certains aspects le groupe semble avoir appris à coopérer et s’initier progressivement, à une attention collective, l’écoute d’un ensemble de sons réunis par un ensemble d’individus. Individus qui ont produit les sons utilisés comme matière sonore, ceux qui se sont servi de cette matière en lui donnant de nouveaux contours, ceux qui ont aidé à prendre en mains des outils complexes, et enfin le public réuni pour écouter cet orchestre prendre vie. Et nous aurions peut être dû proposer au public présent dans la salle un moment convivial autour d’un goûter ou autre, d’une part pour que les musiciens aient leurs retours mais aussi pour qu’ils puissent leur exprimer en détail la manière dont ils ont procédé. Ça aurait aussi été l’occasion pour nous de savoir ce que les participants ont perçu de cette journée, et de l’autre côté, ce que le public en a retenu.

Cependant la notion de patrimoine vivant, et sa place dans ce moment musical, continue à nous interroger, et la question qui nous vient est la suivante: quelle est la place de l’importance de sa compréhension contextuelle, “traditionnelle”? Bien que celle-ci n’ait pas été au centre de ce dispositif, encore que les participants avaient conscience de collaborer avec des sons émis par d’autres villeurbannais, nous avons pris le parti de préférer ces témoignages étant investi par un public. L'enjeu était avant tout que les participants puissent s’en saisir librement. A ce titre, peut-être que ces deux aspects; celui de l’ancrage contextuel de la musique d’une part, et de l’autre la possibilité de s’en emparer pour que d’autres formes d’expression puissent advenir, sont nécessaires aux échanges humains et à la vie du patrimoine. Il semble alors que le critère de réussite d’un point de vue institutionnel réside dans le fait que ces deux aspects entrent en interaction, en résonance ou non. 

Il nous paraît alors évident que cette action gagnerait à être prolongée. La construction sur un temps plus long permettrait en plus de tisser de réels liens, de permettre aux participants de s’emparer complètement de cette proposition musicale et de ce patrimoine dormant dans ces fichiers wave. Cela aurait permis aux participants de sélectionner d’autres collectages, de prendre le temps de se perdre dans les témoignages, pour pouvoir en retenir certains extraits en résonance avec leur contexte ou non... Ou en tous cas, peut être indépendamment de la temporalité, par d’autres leviers à réinventer, d'approfondir, de creuser le terrain fertile de cette relation au présent avec cette matière du passé.

Share this post

Leave a comment

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.