Politiques Publiques et légitimité des pratiques, quelles implications sur le territoire?

 

A l'air du numérique et de la mondialisation, l'Etat continue sa politique de décentralisation engagée par Gaston Deferre en 1982, suite à l'élection de François Mitterand. C'est désormais la loi "NOTRe" (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) qui est votée en 2015. Cette loi réorganise la répartition descompétences entre l'Etat et les collectivités locales, acteurs essentiels de la vitalité des territoires et du lien social.

A ce titre, en tant qu’acteur culturel, le musicien-enseignant ne peut pas faire l’économie d’une réflexion en rapport avec la spécificité de son territoire, les politiques publiques et la légitimité des pratiques musicales et artistiques, ces 3 notions étant intrinsèquement liées.

 

Nous allons commencer par un état des lieux de l'enseignement artistique de nos jours avec des extraits du rapport commandé par l'Etat en 2018 sur l'enseignement artistique , puis de l'IRMA (centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles), pour aborder ensuite la notion de légitimité des pratiques culturelles. La dernière partie vous proposera de comprendre comment s'articule ces 3 notions dans le cadre d'un projet. 

 

1. Etat des lieux de l'enseignement artistique à l'heure actuelle

Le rapport sur la filière de l'enseignement artistique contextualise la situation actuelle dans son avant-propos : 

"L'implication croissante des acteurs locaux - institutions culturelles et associations socioculturelles, enseignants, artistes - et l'engagement des communes et des intercommunalités, soutenus par les départements et les régions pour construire des dispositifs cohérents au service de l'éducation artistique de l'enfant et de la jeunesse montre la contibution importante et la place incontournable de l'action publique locale. (...) En même temps, si les finalités poursuivies ont été réaffirmées au travers de la loi et les réseaux d'acteurs mieux définies, l'enseignement artistique en France rencontre toujours une forte difficulté. Comment assurer une véritable démocratisation alors que les ressources pour accéder aux pratiques culturelles sont limitées dans les territoires?

Il s'agit pourtant d'assurer l'égalité d'accès pour toute set tous à la culture notamment par la pratique artistique et culturelle, élément fondamental de développement et d'émancipation des citoyens. Les politiques culturelles locales restent fragiles. La baisse des dotations aux collectivités territoriales constitue évidemment un élément d'explication pour comprendre la tendance plutôt négative de l'évolution des politiques culturelles ces dernières années. Mais il ne faut pas sous-estimer également l'éfaiblissement de l'ambition politique."

Cet article met en tension le territoire, les pratiques culturelles et les politiques publiques. Il permet de prendre de la hauteur sur nos expériences de terrain personnelles. 
"L’union entre la politique culturelle et le territoire commence alors d’être moins évidente. Le ministère ne reconnaît pas toutes les activités culturelles qui se déroulent sur les territoires. Il sélectionne les projets qui lui semblent pertinents et satisfont aux critères qu’il s’est fixé. (...) La question pertinente peut alors se renverser. Il s’agit moins de s’intéresser aux activités culturelles soutenues par le ministère qu’aux activités qui traduisent la vitalité culturelle des territoires sans pour autant entrer dans le giron de la politique culturelle de l’Etat."
 
La Nouvelle Organisation Territoriale de l'Etat, la loi NOTRe qui date de 2015 réorganise la répartition des compétences notamment culturelles entre l'Etat et les collectivités locales. 
Les droits culturels sont inscrits dans cette loi "NOTRe".

 

2. Quelle(s) légitimité(s) pour les pratiques culturelles? 

La culture légitime désigne le type de connaissances et de savoirs qui apparaît légitime aux yeux de tous (tous les individus d'une même société).

Ce concept fut développé par le sociologue Pierre Bourdieu. D'après son étude sur les inégalités à l'école, il montre que certains types de savoirs sont mieux valorisés que d'autres par l'institution scolaire. Par exemple, les connaissances en littérature classique sont mieux valorisées à l'école que les connaissances sur l'histoire du rock. 

Cela induit l'idée que dans la culture (au sens large) d'une même société, il existe des sous-cultures plus ou moins légitimes. A la suite de cela, Bourdieu fait apparaître la notion de capital culturel. les cultures n'étant pas équivalentes par leurs valeurs, elles composent des capitaux sont sont inégalement dotés les individus. Il utilise beaucoup l'expression de "culture légitime" dans son ouvrage La Distinction, critique sociale du jugement, Edition Minuit, 1979.

https://www.agirparlaculture.be/index.php/dossier-publics-de-la-culture/42-la-legitimite-des-pratiques-culturelles-en-question

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00007310/file/la_legitimite_culturelle.pdf

Ces articles mettent également en tension les notions travaillées.

 

3. Comment le concept de projet articule les politiques publiques, la légitimité des pratiques et les territoires. 

Voici une vidéo illustrant une pratique musicale dans le cadre d'une cérémonie officielle. Elle montre bien le rapport conflictuel entre pratique légitime - territoire et politique publique. 

La confrontation des ces 3 items nous a amené à placer le projet au centre de notre travail. 

A travers cette vidéo présentant le projet proposé par Fawzy Al-Aeidy, on distingue l'interdépendance de trois concepts théoriques : le territoire, les politiques publiques et la légitimité des pratiques. Ces notions sont au coeur de la création d'un projet.

En effet, on réfléchit au public auquel on s'adresse (acteurs et/ou spectateurs), au lieu que l'on veut investir, et à quelle commande publique on peut répondre (par exemple : jouer dans une maison de retraite avec des élèves et/ou des professeurs, intervenir avec les publics empêchés tels les hôpitaux, les prisons...). Certains lieux de concert, par exemple l'opéra, induisent une certaine pratique légitime qu'on ne retrouvera pas dans un spectacle de rue ou sur une scène dédiée aux musiques actuelles amplifiées. De même, il ne nous viendrait pas spontanément à l'idée de proposer un concert de musique électronique dans une maison de retraite. Et en même temps ... Pourquoi pas?

Après avoir travaillé sur ses notions, nous avons pris conscience de la présence de représentations que nous avons construites dans nos environnements sociaux, culturels et professionnels. Cela nous amène à repenser la conduite de nos projets et notre rapport à la culture. Cela donne également de solides outils pour modifier nos représentations, nos a priori. Ce nouveau regard objectif et distancé permet de mieux appréhender le terrain et ses réalités, et nous rend plus à même d'agir concrètement sur le territoire dans des registres d'actions plus nuancés et réfléchis. 

Quel est donc notre rapport à la culture?

Savoir situer et identifier des pratiques dominantes nous autorise à comprendre la nature des liens qu'elles entretiennent avec d'autres cultures dominées, et du fait, agir en connaissance de cause. 

Quel lieu valorise ou au contraire dévalorise les travail des élèves? Peut-on envisager de faire jouer de la variété française populaire dans une salle de musiques improvisées? Quelles sont les missions du musicien-enseignant en tant qu'acteur culturel sur le terrain? Quelle est la politique publique à l'échelle d'un territoire? Autrement dit quels sont nos véritables objectifs, à quelle commande publique répond-elle ou ne répond-elle pas et pourquoi?

 

Par notre posture de musicien et d'enseignant, nous avons un rôle à jouer dans les domaines sociaux et culturels. Quel peut être ce rôle? Quelle pourrait être nos missions?

Quand on monte un projet avec ses élèves, la question est de savoir  :

- qui sont ces élèves, ce qu'ils jouent et de quelle(s) manière(s)

- de quelle(s) manière(s) leut fait-on jouer de la musique

- où la joue-t-il? autrement dit l'ensemble du contexte et des procédures de production de cette musique

 

Le fait d'étudier, d'aborder, de prendre conscience, de ces notions d'un point de vue théorique nous permet d'avoir un regard plus objectif sur nos pratiques, qu'elles soient pédagogiques, musicales et artistiques afin de mieux comprendre et cerner les enjeux des projets que l'on mène pour et avec nos publics.

 

Bibliographie raisonnée 

- La culture des individus, Dissonances culturelles et distinction de soi, LAHIRE B., Editions La Découverte, 2004 

"La vision qui domine depuis les années 1980, impulsée notamment par Pierre Bourdieu et son ouvrage "La Disctinction" en 1979, pose un univers social où goûts artistiques et pratiques culturelles sont intimement liés aux milieux sociaux d'appartenances. Bernard Lahire est revenu en 2004 avec "La culture des individus" sur ces hypothèses. Nos goûts et pratiques culturelles sont-ils dûs à notre seule classe sociale d'appartenance? Comment se décide la légitimité ou l'illégitimité de ces goûts et pratiques culturelles aujourd'hui?"

 

- Dictionnaire de sociologie, ETIENNE J., BLOESS F, NORECK J.-P., Editions Hatier

Ce dictionnaire s'adresse à ceux, qui souhaitent aborder la sociologie. Les concepts qui nous intéressent (culture, sous-culture, contre-culture, culture dominante et dominée entre autres) y sont expliqués et la pensée des auteurs de référence (R. BOUDON, P. BOURDIEU, E. DURKHEIM, K. MARX, A. de TOCQUEVILLE...)

 

- Dictionnaire des sciences humaines, DORTIER J.-F., Editions Sciences humaines, 2004

Pluridisciplinaire par son ouverture aux différents domaines des sciences humaines. Il nous offre une compréhension globale et des références bibliographiques sur des notions essentielles qui peuvent alimenter notre réflexion de musicien-enseignant.

 

- Une éducation artistique pour tous, PUJAS P. et UNGARO J., Edition Erès, 1999

"L'éducation artistique en France est source d'irritation. En effet, à l'école où elle devrait commencer, elle est peu et mal dispensée. Ce constat de départ détermine 2 camps parmi les enseignants, le pouvoir politique et les citoyens : ceux, majoritaires, qui pensent que cela n'a aucune importance; pour eux, l'éducation n'est pas un enjeu majeur, ni pour la formation des jeunes ni pour la construction de la société; ceux, minoritaires, devenus militants par la force des résistances qui affirment le contraire : la culture est centrale dans la vie d'un individu et dans celle d'une communauté. Longtemps cette minorité a parlé dans le désert. Mais elle a aussi avancé à petits pas, multipliant les expériences qui, à défaut de dessiner une politique, ont balisé le terrain de ce que pourrait être une réelle éducation artistique si une volonté collective se dégageait. Pourquoi a-t-il été si difficile de développer l'éducation artistique en France? Quelles ont été, quelles sont encore les raisons politiques et sociales des blocages? Quelles sont celles qui dépendent de la situation de l'Art et cette fin de siècle? Sur quoi peut-on s'appuyer pour franchir une nouvelle étape et se rapprocher d'une éducation artistique pour tous? Ces questions ont servi de base à l'enquête dont rend compte cet ouvrage. A travers leur analyse menée par le double regard du philosophe et du journaliste, les auteurs nous engagent à croire que nous avons davantage de raisons d'espérer que de nous décourager. La société française est de plus en plus consciente de l'importance de l'éducation artistique. L'action politique est ainsi interpellée et stimulée pour que le plus grand nombre puisse en bénéficier."

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