L'éducation populaire

 

"Nous voudrions qu'après quelques années, une maison d’école au moins dans chaque ville ou village soit devenue une maison de la culture, une maison de la jeune France, un foyer de la nation, de quelque nom qu'on désire la nommer, où les hommes ne cesseront plus d’aller, sûrs d’y trouver un cinéma, des spectacles, une bibliothèque, des journaux, des revues, des livres, de la joie et de la lumière". (André Philippe) Circulaire du 13 novembre 1944 de la direction des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire.

 

"[...] il ne peut s'agir dans un pays démocratique de caporaliser les distractions et les plaisirs des masses populaires et de transformer la joie habilement distribuée en moyen de ne pas penser". (Léo Lagrange) Extrait de discours, juin 1936.

Le but de cet article vise à offrir aux lecteurs.rices le résultat d’un travail de recherche et d’une réflexion épistémologique sur l’éducation populaire. A travers ces articles documentés vous pourrez ainsi découvrir les origines de ce mouvement, l’évolution de ses enjeux et ce que représente aujourd’hui l’éducation dans notre société.

          L'émergence des Maisons de la Jeunesse et de la Culture est intimement liée à une personnalité française : André Philippe (1902-1970). Homme politique (SFIO, PSU, PS) et avocat, il fut aussi un professeur d'université (Paris et Lyon). André Philippe fut également très tôt un protestant engagé, et en ce sens il appartient à l'une des trois branches de l'éducation populaire, celle des chrétiens socialistes. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, durant laquelle il fut également résistant, la reconstruction du pays est en marche, et pas seulement du point de vue des bâtiments. En effet il faut également penser à bâtir (ou rebâtir) la jeunesse, l'éduquer et, surtout, ne pas confier cela aux enseignants de l'éducation nationale, qui, pour certains, sont considérés comme responsables ou activistes de près ou de loin lors de la collaboration avec le régime de Vichy. C'est en 1944 qu'André Philippe décide de créer la République des jeunes, une organisation associative nationale qui a eu pour but de rassembler les syndicats de salariés et les mouvements éducatifs et de jeunesse. Cette République des jeunes est en fait une préfiguration de ce que seront, dès leur création en 1948, les Maisons de la Jeunesse et de la Culture (MJC). C'est ainsi qu'André Philippe dirigera pendant vingt ans, jusqu'en 1968, la Fédération Française des Maisons de la Jeunesse et de la Culture (FFMJC). 

          Historiquement parlant, les MJC sont en quelque sorte l'héritage de structures qui ont existé bien avant 1948 sous la Section Française de l'Internationale Ouvrière (SFIO), le Front Populaire ou bien encore le régime de Vichy. Citons par exemple le cas de Léo Lagrange, qui, en tant que sous secrétaire d'État aux sports et à l'Organisation des loisirs en 1936, fut à l'origine de l'émergence des auberges de jeunesse (et dont il fut le président pour le comité laïque), du billet populaire de congés annuels (concomitant à la naissance des congés payés), des Olympiades populaires à Barcelone (en réaction au jeux olympiques de Berlin de 1939). 

          Sous le régime de Vichy, la Jeunesse Agricole Catholique (JAC), la Jeunesse Ouvrière Chrétienne de France (JOC) et la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC), bien qu'elles soient apparues après la première guerre mondiale, furent récupérées et/ou ré-utilisées par le régime de Vichy car reconnues comme partie intégrante de l'éducation populaire, mais à travers le prisme du catholicisme français. Entre janvier et août 1940, les Chantiers de la Jeunesse, les Compagnons de France, Jeune France et l'École des cadres d'Uriage voient le jour. Bien que les motivations qui ont pu conduire à la création de ces quatre mouvements, listés de manière hélas non exhaustive, furent, pour certaines, aussi nauséabondes que leur contenu, toutes à la gloire du maréchal Pétain et sous la houlette d'un catholicisme français coupable, ces quatre mouvements ont eu pour point commun de création la jeunesse et les moyens de l'occuper, de l'endoctriner et de la mettre au pas, à l'image de ce que furent par exemple les Hitlerjugend (les Jeunesses Hitlériennes) entre 1926 et 1945. Ce contexte historique soulève d'ailleurs deux questions brûlantes, à savoir la question de l’enseignement, de l’éducation après Auschwitz (à qui confier cet enseignement?), et celle de ces mouvements pétainistes ou hitlériens d'embrigadement de la jeunesse (pouvaient-ils à l'époque se réclamer de l'éducation populaire?). 

          Les MJC, en France, ont été alors imaginées, constituées et organisées pour répondre, en partie, à tout cela. Il faut alors les considérer, dès leur origine, comme des structures associatives tenues par des bénévoles visant à responsabiliser, cultiver et autonomiser le jeune citoyen. Elles ont également pour but de mettre en mouvement des jeunes, de développer des initiatives nouvelles et de lier ainsi la jeunesse et la culture à l'éducation populaire afin de devenir des lieux de rencontres et de créations. 

Quatre grandes périodes historiques permettent de jalonner l'histoire des MJC de leur genèse à aujourd'hui :

1/ 1907-1958 : les fondations des MJC 
2/ 1959-1983 : l'essor, le développement et la maturation des MJC 
3/ 1984-2008 : les transformations des rapports aux collectivités 
4/ 2008-........ : dévoiements, restructurations, avenir 

Si les deux premières périodes ont pu être abordées dans les paragraphes précédents, il convient d'apporter quelques précisions pour les deux suivantes. 

          Dans le parcours historique sinueux qu'effectue l'éducation populaire tout au long du XXème siècle, elle a eu à faire à ce que l'on appelle une institutionnalisation, autrement dit son étatisation, ou comment l'appareil de l'état l'a récupérée à son compte. C'est ainsi qu'au gré des décennies et des gouvernements, l'éducation populaire a navigué entre différents ministères. D’une « Direction de la culture populaire et des mouvements de jeunesse » en 1944, elle est ensuite greffée à une direction générale de la jeunesse et des sports, puis réapparaît dans le ministère des affaires culturelles d’André Malraux… Ces allers-retours (Culture, Éducation Nationale, Jeunesse et Sports)  d’un dossier dont personne semble ne savoir quoi faire continuent ainsi jusqu'à la période actuelle, où l’éducation populaire et présente dans les structures de l’état par le biais de Institut National de Jeunesse et d’Education Populaire (INJEP) créé en 2015, rattaché au ministère de l’Éducation Nationale. 

          C'est ainsi que les MJC ont commencé parfois à dépendre du financement public émanant des collectivités territoriales, remettant alors en cause un des premiers fondements de l'éducation populaire, à savoir l'indépendance vis-à-vis de tout organisme public d'état. Cette indépendance est essentielle dès lors que l'on veut cultiver et responsabiliser la jeunesse en lui donnant tous les outils nécessaires, en dehors du marteau et de la faucille, pour débattre et se confronter à d'autres idées en dehors de toute étiquette politique quelle qu'elle soit ! La période 1984-2008 constitue donc ce que l'on pourrait appeler une période de dévoiement des MJC tant dans leur pensée que dans leur organisation. Elles tendent alors à se transformer en centres d'animation socio-culturels où l'absence abyssale de débat politique (autre fondement de l'éducation populaire) finit par reléguer la chose publique au rang de discussion privée, chez soi, de peur sans doute que les frictions intellectuelles ne viennent embraser le débat et sans que les pouvoirs publics en place ne puissent éteindre ce brasier fécond. Les nouvelles méthodes de gestion anglicisées qui fleurissent depuis le début des années 2000, la culture de masse à laquelle il faudrait savoir discriminer de manière sémantique la culture pour tous, le chômage de masse qui favorise la transformation des MJC en centre de réparation sociale (Luc Carton), les éléments de langage des équipes directives sont autant de causes qui ont durablement dévoyé et altéré les objectifs primordiaux des MJC pensées par André Philippe. 

Pour illustrer la dernière période, celle allant de 2008 à demain, nous citerons en exemple la MJC de Chambéry (73).

          Un entretien avec son directeur, Virgile Pointereau, a permis de faire le point sur les rapports qu’entretient la MJC de Chambéry avec la notion d’éducation populaire. Si la vocation d’éducation politique et de proposition de débat n’est pas criante quand on jette un oeil à la plaquette de présentation des activités et des animations, l’idée de créer du lien, des échanges entre les usagers, de leur permettre de se réapproprier un lieu qui leur appartient (il avait été délaissé?) est partout présente dans les mots de Virgile. Ainsi l’idée est avant tout de créer du collectif, de laisser des associations locales s’investir dans la programmation musicale (pourquoi la MJC seule aurait-elle la main sur la question, dans ce lieu après tout “à tout le monde”), en les investissant dans l’organisation des évènements (publicité, service, cuisine…). De même, pour ces concerts, l’accent est mis sur des soirées dans le bar de la MJC (le Bartem) plutôt que dans son amphithéâtre, afin de privilégier la possibilité d’échange entre public et artistes et la convivialité. 

          Ainsi donc pour l’ensemble des activités proposées ces principes sont posés comme bases : collectif, implication de chacun, investissement, entraide… Bien entendu ces intentions louables sont confrontées chaque jour à l’envie (ou pas) des personnes y travaillant d’aller vraiment dans ce sens, aux pressions attendues de la part de la municipalité dès que les élections seront passées (pour citer Virgile : "une MJC ça ne fait pas gagner des élections, une MJC qui ferme peut cependant les faire perdre!")... Ce directeur confie donc que son travail consiste en un va-et-vient permanent “entre utopies et gestion”. 

          En conclusion, la lecture de cet article nous a permis d'entrevoir la variété des significations renfermées dans la notion d'Éducation Populaire, et la longue histoire de ces idées, notamment à travers leur concrétisation au sein des MJC. Dans le champ de l’apprentissage de la musique, nombre d’acteurs (directeurs.rices, enseignant.e.s) montrent un intérêt pour ces mouvements, considérant que l’école de musique peut et doit, elle aussi, être un lieu de partage, d’échange de savoirs en vue de l’émancipation de tous.tes. La place toujours plus importante des cours collectifs en école de musique semble orienter élèves, professeur.e.s et encadrant.e.s vers cette voie qui pourrait peut-être dessiner l’avenir de l’enseignement artistique…

Toutefois, y a t-il et veut-on véritablement faire une place à l’éducation politique des élèves par le biais de l’éducation artistique ? Les écoles ne sont-elles pas cantonnées tantôt dans le rôle de "centre de loisir", tantôt dans celui de lieu d’excellence destinée à un happy few élitiste ?

                                                                                                            BIBLIOGRAPHIE / SITOGRAPHIE

Quelques ouvrages pour une vision chronologique assez complète de l’Education Populaire en France :

Mignon Jean-Marie. Une histoire de l'Éducation populaire Paris : La Découverte, 2007. – 264 p.
Benigno CACERES. Histoire de l’éducation populaire: Peuple et culture, Editions du seuil. 1989. 250p.

Pour découvrir Franck Lepage et sa vision de l'Éducation Populaire :
https://www.franceinter.fr/emissions/la-bas-si-j-y-suis/la-bas-si-j-y-suis-27-mars-2014 

Crée en 1866 par Jean Macé, La ligue de l’enseignement a eu pour objectif dès ses débuts de défendre la laïcité. Elle défendra très fortement les lois sur l’école laïque gratuite et obligatoire. La ligue revendique aujourd’hui plus de 25000 associations sur l’ensemble du territoire.
https://laligue.org/

Un extrait d’une conférence gesticulée de Franck Lepage, sur la parole politique. La conférence gesticulée est une forme scénique où une personne expose devant un public son expérience et ses analyses issues de sa vie professionnelle.
https://www.youtube.com/watch?v=oNJo-E4MEk8 

En complément des conférences de Frank Lepage autour de l'éducation populaire, voir aussi le site de la SCOP le Pavé

Une émission de France Culture sur l'Éducation Populaire en 2012, sa relation avec l’école et sa place dans le champ politique:
https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/la-refondation-du-systeme-educatif-leducation-populaire 

sur la relation a l’enseignement artistique :
http://www.cefedem-aura.org/sites/default/files/recherche/memoire/pandraud.pdf

Histoire de l'Université de Vincennes à travers deux reportages, l'un radiophonique et le second, en deux parties, télévisé.
https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-05-fevrier-2018
https://www.youtube.com/watch?v=FcCW-12OCeg vincennes part 1 arte
https://www.youtube.com/watch?v=XyyRqIUT2pI vincennes part 2 arte 

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