Action culturelle aux centres sociaux de la Croix-Rousse

 

Mise en place de notre action

Tentative d'approche de l'éducation nationale 

Le projet initial 

Avant de parler de l'action que nous avons mise en place, nous allons commencer par expliquer notre idée de base.

Amaury et moi avons quitté le Lycée il y a respectivement 4 et 6 ans. Nous avons tous les deux des sentiments différents quant à la manière dont nous l'avons vécu mais nous nous rejoignons sur un point : il manque un lien entre l'école et l'éducation à la culture, et dans notre cas, à la musique. Nous voulions donc trouver un moyen d'amener la musique au Lycée, dans un cadre non scolaire, c'est-à-dire, hors des cours. Au fur et à mesure de nos réflexions, nous avons décidé de réfléchir à un dispositif hebdomadaire sur une base simple : "Nous aimerions, au travers de ce projet, proposer un voyage au coeur de la vie de musicien, de la découverte d’un instrument, à la création et l’enregistrement en studio". L'idéal pour nous aurait été de nous rapprocher d'une association de vie lycéenne afin de pouvoir mettre en place ce genre d'atelier sur un temps extrascolaire.

A la base le projet se détachait en plusieurs modules. A raison d'une séance par semaine, nous voulions mener une action sur au moins un trimestre. Chaque module présentait une facette différente de l'activité de l'artiste musicien : découverte des instruments, écoute et analyse, prise en main, jeu en groupe, et création. C'était un projet qui nous plaisait et auquel nous croyions avec ferveur.

Mais comme nous allons l'expliquer dans la partie suivante, trouver un institut intéressé ne serait pas aussi simple que nous l'avions prévu.
 

Démarchage et difficultés rencontrées 

Afin de rendre possible notre action, nous nous sommes adressés à plusieurs personnes responsables de la vie lycéenne de chaque établissement : la direction, les associations lycéennes et/ou le professeur de musique en poste.

Après avoir listé les différents lycées de l'agglomération lyonnaise susceptibles d'accueillir ce projet, nous leur avons envoyé au moins un mail et un courrier récapitulant nos motivations.

Voici notre lettre :

Madame, Monsieur,

Bonjour
Nous sommes deux étudiants de la formation initiale du CEFEDEM (Centre de Formation des Enseingnants en Musique) Auvergne - Rhônes Alpes. Nous nous permettons de vous contacter car, dans le cadre d'un de nos cours intitulé "L'enseignant, Artiste Médiateur dans la Cité", nous devons mettre en place et accomplir une action culturelle dans un milieu particulier. En effet, cette matière a pour objectif de nous former à intervenir dans des milieux qui sont différents des lieux où est traditionnellement enseignée la musique. Il s'agit d'un des projets nécessaires à accomplir dans le cadre de notre formation, et il se doit, évidemment, d'être bénévole.

Nous avons eu l'idée de vous solliciter dans le but de mettre en place un projet de Création Musicale Colledtive pour musiciens et non-musiciens. Ce projet est le fruit de plusieurs réflexions de notre part. Tout d'abord, pour des raisons diverses, nous avions la volonté de travailler avec un public lycéen (confrontation à des profils divers ; envie de proposer des choses par rapport aux expériences que nous avons nous-mêmes eues au lycée, etc). Ensuite, il nous est paru évident qu'il était nécessaire d'avoir une finalité pour cette action et la création nous paraissait un point final idéal au projet que nous avions en tête.

Notre point de départ pour ce projet a été de prendre du recul et de nous rappeler quelles ont été les différentes étapes dans notre développement en tant que musicien. Nous aimerions, au travers de ce projet, proposer un voyage au coeur de la vie de musicien, de la découverte d'un instrument, à la création et l'enregistrement en studio. Etant tous deux issus du domaine des Musiques Actuelles Amplifiées, qui est en train de se développer dans les milieux institutionnels classiques, nous aimerions pouvoir partager notre expérience auprès d'un public composé de tout type de profils et déconstruire certaines idées reçues (il faut commencer la musique tôt, être doué, etc).

Nous souhaiterions faire apparaître ce projet comme une activité extra-scolaire, afin de créer des temps nouveaux internes au lycée. Il nous semble important de faire appel aux associations lycéennes (miason des lycéens ou autres) pour mettre en place ce projet avec leur collaboration, afin d'organiser cette action dans les meilleurs conditions possibles.

Nous espérons que ces quelques explication parviendront à vous convaincre de mettre en place un tel projet. Auquel cas nous vous laissons nos coordonnés ci dessous.

Nous vous prions d'agréer l'expression de notre vive considération,

Amaury PASTORELLI, Nicolas DEMARS

Suite à plus d'une dizaine d'envois, la seule réponse que nous avons obtenue fut le lycée Saint Exupéry qui propose une classe musique. Compte tenu du public de ce lycée, nous sommes arrivés, ici, à la limite de l'intitulé même de l'action de l'EAMC qui était de proposer une action à un public n'ayant pas accés à la musique.

En retour d'expérience, nous avons constaté qu'il était très difficile d'approcher des établissements qui dépendaient de l'éducation nationale. Peut être aurait-il été plus facile d'intégrer un lycée si l'un de nous avait une connaissance professionnellement ancrée.
 

Retournement : Les centres sociaux

Les centres sociaux de la Croix-Rousse

Nos appels restant sans réponse, nous avons dû nous poser la question : Quels autres établissements seraient susceptibles d’accueillir un projet comme le notre ?
Nous avons réfléchi à plusieurs possibilités comme par exemple l’école primaire, mais nous souhaitions travailler avec un public de jeunes adolescents (au moins 10-11 ans, de préférence plus), cela ne nous convenait donc pas.
Notre regard s’est alors porté sur les centres sociaux de la ville de Lyon. Les centres sociaux sont des établissements ouverts à tout type de public et qui mettent en place un système de quotient familial, permettant à un très large public de profiter de ses services.
Nicolas avait travaillé à de nombreuses reprises aux Centres Sociaux de la Croix-Rousse en qualité d’animateur lors de vacances scolaires, nous avons donc décidé de nous adresser à eux.

Il est important de faire un rapide point sur la situation de ce centre afin de resituer notre action dans son contexte.
Les centres sociaux de la Croix Rousse ont connu l’année dernière une restructuration très importante en raison de coupes budgétaires. Ce centre a perdu une grande partie de son public à cause de cette restructuration et cherchait donc des moyens de faire venir un public nouveau, notamment chez les adolescents. C’est pourquoi nous avons choisi de nous adresser à eux pour mettre en place notre action, afin qu’ils puissent profiter d’une intervention bénévole dans le cadre de notre formation.
Nous les avons donc rencontrés afin de mettre en place cette action avec leur collaboration. Ce changement de structure allait nous obliger à repenser dans son entièreté le dispositif que nous avions réfléchi au tout début.
 

La remise en question du projet 

La rencontre avec le centre social de la Croix-Rousse et les conditions de mise en place du dispositif nous ont fait revoir en grande partie le contenu pédagogique de notre action. En effet, nous avons recentré notre discours sur la création et la découverte d'instrument sur un format plus court que ce que nous avions prévu à la base.

Nous avons d'abord pensé à une intervention qui aurait lieu pendant les vacances et non sur de l'hebdomadaire (lors du périscolaire) et, suite à notre rencontre avec le centre social, l'organisation interne voulait que l'action se passe sur trois jours, soit deux matinées et une journée entière.
L'enjeu à ce moment-là, a été de réadapter notre déroulé d'action que nous avions écrit initialement. Nous nous sommes donc mis d'accord sur le fait que les adolescents du centre social de la Croix-Rousse allait créer un morceau collectivement en passant par des ateliers de découverte, de jeu, de composition et d'écoute. L'important était surtout de les faire créer à partir d'outils qu'ils ne connaissaient pas.
 

L'action 

Etant donné que nous avons beaucoup travaillé en groupe pendant l'action, nous avons décidé de témoigner de notre ressenti individuel, chaque jour. Ainsi l'action sera présentée brièvement sur chacune des séances et chacun de nous expliquera en détail le contenu de sa séance, et ce qu'il en est ressorti.

 

Jour 1 : rencontre et dispositif de reproduction sur Live 

Le premier jour de notre action s'est déroulé au centre social Grand'Côte avec un groupe de 12 jeunes de 11 à 16 ans. N'ayant à disposition aucun matériel "spécialisé", nous avons décidé d'effectuer un travail sur nos ordinateurs à l'aide d'Ableton Live. Il s'agissait, par petit groupe, de choisir un morceau et d'en recréer une dizaine de secondes sur le logiciel, avec notre aide. Les jeunes ont donc du mettre des mots et des noms sur les différents sons et instruments qui composaient ce morceau, avant de se confronter à l'interface du logiciel. 

      Nicolas :
     "Nous avons pris les jeunes par groupes de 3 ou 4. Une fois installés, il s'est agi de trouver le morceau qui mettrait tout le monde d'accord. Sachant que l'on avait à peu près 45 minutes par groupe il ne fallait pas perdre trop de temps sur cette étape tout en choisissant un morceau qui plairait à tout le groupe. J'ai donc poussé les jeunes à se mettre assez rapidement d'accord en les laissant proposer différents morceaux et en laissant le consensus se faire au fur et à mesure des écoutes. Nous avons choisi ensemble la partie du morceau que nous voulions recréer, choix qui s'est porté par deux fois sur le refrain. A partir de ce moment mon rôle a été de guider les jeunes dans la compréhension et dans l'analyse des éléments composant le morceau. En quelque sorte il s'agissait de mettre des mots sur "ce son la qui fait Tik Tik".

Puis nous sommes passés sur le logiciel où nous avons fait le tour des sons afin de nous rapprocher de ceux du morceau. Ensuite, les jeunes ont eu l'occasion d'expérimenter le fonctionnement de l'écriture midi, en plaçant des coups et des notes à des endroits au hasard pour comprendre comment se découpent les temps et les notes. La plupart du temps a donc été consacrée à l'expérimentation du logiciel, et à la recréation, sur mes conseils, du morceau choisi. 

Il a été particulièrement intéressant de voir sur quels éléments des morceaux se concentraient les jeunes au premier abord. Ca a été tantôt la rythmique, tantôt des sons très particuliers pas forcément mis au premier plan. Un des principaux défis a donc été de réussir à collecter toutes ces informations pour les transformer en matière utilisable et comprise par tout le groupe."

Voilà les extraits sonores des morceaux que j'ai repiqués avec mon groupe :

      Amaury : 
     “Il me paraissait important dans cet exercice que les adolescents se sentent directement concernés pour que la motivation agisse sur leur attention et leur intention. Ce n’est pas un exercice aisé, donc il me fallait être certain que le groupe soit unanimement d’accord sur le morceau qu’ils décident de reproduire sur Ableton Live.
Une fois le morceau choisi, une phase d’écoute s’opère afin de leur faire prendre conscience que plusieurs instruments jouent en même temps. Ils ont très vite entendu la totalité des instruments (sans forcément savoir mettre un nom sur ceux-ci). A partir de cette première analyse, nous avons donc réparti, ensemble, ce que chacun allait reproduire dans ce morceau sur le séquenceur. De manière grossière, parce que ça n’a pas été le cas de tous les morceaux, l’un s’occupait des instruments percussifs, un autre de la ligne de basse, un autre des accords, et un autre de la mélodie.

La deuxième étape a été de s’occuper du choix du son de chaque instrument. Ce qui est intéressant de noter, c’est qu’il y avait deux types de vision : reproduire exactement le même son que le morceau original ou réadapter le morceau avec des sons qui leur plaisent. Dans tous les cas cette opération s’est effectuée de leur propre chef.
Avec moi en ressource, l’idée est de les faire participer un maximum au repiquage et à la manipulation du logiciel. Bien que les accords et la mélodie était difficile à relever, j’ai ré-envisagé ma posture par gain de temps (puisque nous avions seulement 45 minutes).

En constat, le fait même de les avoir impliqués directement, et de s’être intéressé à ce qu’ils écoutent, les a stimulés. De plus, Live Ableton est un outil qui permet de bien comprendre comment fonctionne l’imbrication des instruments qui vont former un morceau. En tout cas, ils en sont ressortis avec le sourire et c’était le principal !”

     A la fin de la séance, nous avons réuni tous les participants afin de procéder à un rapide "Blind-test". Le but était de voir si les morceaux seraient reconnus par les autres groupes. Globalement, cela a été un succès. Le seul morceau non reconnu l'était car les autres ne connaissait pas l'original.
 

Jour 2 : expérimentations des outils acoustiques et numériques, adaptation

Le deuxième jour, nous avons emmené les jeunes dans les locaux du CEFEDEM AuRA et avons décidé de dédier cette séance à la découverte et à l'expérimentation de différentes formes de production d'un son. Pour ce faire, nous avons mis en place deux pôles. D'une part, un pôle "acoustique", mené par Amaury avec différents instruments acoustiques et électriques, et d'autre part un pôle "numérique et synthèse sonore", mené par Nicolas.

      Nicolas :
     "Sur cette demi-journée, nous avons séparé le groupe en deux, afin que tout le monde puisse accéder aux deux pôles dont nous avons parlé. J'ai mis en place dans ma salle différents outils devant passer par l'ordinateur pour fonctionner. En l'occurence, il y avait deux synthétiseurs, un clavier maître et un Push (sorte de launchpad, principalement utilisé pour les rythmiques). Le premier enjeu a été de laisser les jeunes expérimenter leurs instruments (ils étaient parfois deux par synthétiseur, ce qui permettait à l'un de jouer tandis que l'autre touchait les boutons). Contrairement aux instruments acoustiques, tout le monde sortait sur les mêmes enceintes et il a donc fallu un certain temps pour que chacun puisse bien identifier les sons de son instrument. Dans un premier temps je voulais guider le groupe à l'aide d'un système de création, chacun devant proposer une "idée musicale" complétée par les autres.

Je me suis cependant rapidement rendu compte que cette séance avait en réalité beosin d'être dédiée à l'expérimentation. En effet, les jeunes ont passé une grande partie de la séance à essayer les instruments, à essayer de comprendre ce qui avait un intérêt selon eux. J'ai donc choisi de mettre en place un atelier d'improvisation libre après la découverte des outils que j'avais mis en place. Il s'agissait de faire prendre conscience des mécanismes simples du jouer ensemble, comme par exemple le fait de commencer dans le silence et de réussir à trouver le moment où l'on arrive à tous s'arrêter.

A l'issue de cette séance, il m'est apparu que le jour 3 serait déterminant dans l'avancement de nos objectifs d'apprentissage. En effet, nous allions devoir trouver un moyen de canaliser cette énergie et de la mettre au service de la musique et des jeunes. Ce deuxième jour, en apparence laborieux, aura permis de créer de véritables affinités entre les jeunes et ce nouveau lieu, plein d'instruments et de choses dont ils n'avaient jamais entendu parler."

      Amaury :
     “Ce type d’atelier était quelque chose que j’avais déjà fait dans le passé et dans un même contexte. J’ai donc décidé de reproduire la même chose, c’est-à-dire d’axer principalement la séance, non pas sur du relevé comme le premier jour, mais sur du jeu en collectif. J’ai donc choisi de leur faire reproduire le thème de Seven Nation Army des Whites Stripes.

Une fois dans la salle, j’ai directement observé des yeux écarquillés devant des instruments qu’ils n’avaitent jamais vu de leur vie. Ils ont donc commencé à prendre les instruments qui étaient disponibles et à tatonner comme ils pouvaient : la batteur et le percussionniste tapait fort, le guitariste et le bassiste grattait les cordes tout en appuyant sur le manche avec leur main gauche mais ne savait pas ce que cela pouvait produire, et le synthétiseur rejouait le thème du morceau qu’il avait appris la veille lors du repiquage.

Mettant fin au brouhaha, je commence par leur faire écouter le morceau en nous attardant sur le thème principal en faisant le rapprochement avec le chant de supporter de football inspiré de cette chanson. Je comptais encore une fois sur des choses qu’ils connaissaient potentiellement pour pouvoir désamorcer le travail. Une fois chose faite, j’ai commencé par donner directement à chaque instrument ce qu’il devait jouer. Le temps d’apprentissage fut long et pas concluant. J’ai fait face à une problématique à laquelle je n’avais pas pensé : la difficulté de l’instrument et la difficulté du thème à reproduire. Auparavant, c’était un exercice qui avait très bien marché avec un public de la même tranche d’âge. Face aux difficultés rencontrées, je n’avais pas d’autre choix que d’adapter le contenu plutôt que de persister dans un exercice qui n’allait mener à rien de concluant. J’ai donc décidé de leur faire travailler des mises en place rythmiques avec les instruments qu’ils avaient choisis. Une fois terminé, nous recommencions en changeant d’instrument. Etant dans une démarche de découverte, il me semblait indispensable de leur faire essayer tous les instruments. En fin de compte, en adaptant le contenu, j’avais rempli le contrat de les faire jouer ensemble.”
 

Jour 3 : jeux, composition, jeu en groupe et concert ! 

Pour le troisième et dernier jour, nous avons décidé de mettre en avant la musique en elle-même. Nous avions à cœur de faire jouer de la musique au groupe, et de préférence une musique qu’ils auraient créée. Pour cela nous avons mis en place divers ateliers, pour certains tous ensemble, et pour d’autres en petits groupes. La journée a commencé avec quelques petits jeux, puis nous avons mis en place un atelier de création. Amaury dirigeait la création des rythmiques et des mélodies, tandis que Nicolas dirigeait la création de l’harmonie et de la ligne de basse. Chaque groupe allait pouvoir s’essayer à toutes ces étapes de la création.
 
      Nicolas :
     «Ce troisième jour étant le dernier, nous voulions faire jouer de la musique aux jeunes. Nous avons appris le matin même que nous aurions 11 jeunes aujourd’hui. Ok, il va falloir revoir un peu ce que l’on avait en tête, soit beaucoup de travaux par petits groupes. Il fallait se rendre à l’évidence même les « petits groupes » seraient d’assez grands groupes. Nous avons donc pris le parti, pour commencer la journée, de faire travailler tout le groupe ensemble.

Dès leur arrivée, nous les avons plongés dans un bain musical, où nous allions nous adonner à plusieurs jeux de rythme (marcher sur le tempo, frapper dans les mains sur des temps en particulier) et de coordination (jeu où chacun peut dire un nombre et si deux personnes parlent en même temps, on repart de zéro).
Après cet échauffement mené « à blanc », nous avons mis en place un jeu que nous avions réfléchi en amont. Je l’appellerai "Le jeu du séquenceur". Chaque jeune choisit un instrument ou un son avec une seule consigne : ce doit être un son court. Certains jouent de la grosse caisse, d’autres de la basse, etc. Par la suite les jeunes s’attribuent à chacun un nombre entre 1 et 11. A partir de là commence le jeu.

Dans un premier temps il s’agit de faire la connexion entre les jeunes, leur numéro et leur son. Nous appelons donc à tour de rôle des numéros au hasard, le numéro doit jouer son « son ». Ensuite nous donnons un décompte et il faut que les numéros jouent dans l’ordre tous leurs sons (sans que nous ayons à compter). Cela a permis aux jeunes de se situer dans le temps (quel son y-a-t-il avant moi ?). Puis, le jeu tourne au défi, on essaye d’aller de plus en plus vite puis on pousse le concept sur leurs propositions (on échange les numéros, les sons, on joue dans le désordre…).

Une fois ce jeu terminé, nous amenons les jeunes sur le terrain de la création en leur proposant de composer leur propre morceau. Il y aura une première création en fin de matinée et une deuxième en début d’après-midi. Je dirige les pôles de création d’une harmonie (grille d’accord), suivi de la création d’une ligne de basse.
Pour la création de l’harmonie, j’ai gardé une partie du pôle numérique que j’avais mis en place la veille pour que les jeunes puissent jouer sur un clavier. Nous avons commencé par discuter afin de savoir s’ils savaient ce qu’était un accord ou une harmonie. De fil en aiguille nous avons donc pu déterminer ce que l’on voulait. J’impose alors qu’il y ait quatre accords différents, en les incitant, pour commencer, à n’utiliser que les touches blanches et en appuyant une sur deux (ce qui produit un accord découlant de la gamme de do majeur). Chacun des deux groupes, à sa manière, parvient à un consensus sur les accords qu’ils veulent utiliser. Je noterai que, dans les deux groupes, les jeunes ont réussi à se détacher du schéma d’accord que je donnais, en proposant également des renversements et, à un moment, une touche noire, « parce que ça sonne mieux ».

Ensuite pour la ligne de basse, je me retrouve avec principalement des instruments électriques et acoustiques, ainsi que le MS20 et un autre synthétiseur. Il est compliqué d’amener ce travail à des néophytes. Je propose de commencer par trouver, sur chaque instrument, les notes de basse des quatre accords. Plutôt facile sur les synthétiseurs, plus compliqué sur la basse où on ne sait pas trop où poser ses doigts. On arrive quand même d’une manière ou d’une autre, à entendre ces quatre notes (des fois par le chant, des fois par l’instrument). Je prends la guitare afin de jouer la suite d’accord, pour que les jeunes puissent commencer à poser ces notes de basse dessus. J’en viens alors à leur demander d’essayer de trouver un « chemin » entre ces notes de basse. On arrive finalement à quelque chose !

Il est 14h30 à peu près et on a donc deux rythmiques, deux harmonies, deux mélodies et deux lignes de basse différentes, composant deux parties.

Le groupe d’Amaury revient dans la salle et souhaite montrer aux autres la rythmique qu’ils ont composé en début d’après-midi. C’est alors que l’échange se crée de lui-même. Certains des jeunes essaient de raccrocher les parties, en jouant la ligne de basse, les mélodies et quelques bouts d’harmonie. Nous décidons donc de laisser libre court à ce qui est en train de se passer, Amaury guide en partie la section rythmique et je pose l’harmonie à la guitare afin de permettre aux jeunes d’entendre ce qui se passe. Le jeu de groupe commence naturellement. Chacune des personnes présentes essaie de prendre sa place dans l’ensemble du son, en essayant de raccrocher avec ce qui a été créé auparavant. Le travail change du tout au tout, il faut être au service du groupe (surtout lorsque 11 personnes jouent ensemble), et ça, les jeunes le comprennent vite.

Rapidement on essaie de jouer la composition du matin, puis on oscille entre les deux, les entremêlant. Amaury et moi essayons petit à petit de leur faire comprendre par des gestes que l’on peut demander à quelqu’un de s’arrêter, ou de jouer plus fort, ou moins fort. C’est d’abord nous qui guidons cet orchestre farfelu puis nous invitons les jeunes à s’y essayer, les encourageant à être clair dans leur demande, à capter l’attention de la personne à qui ils s’adressent autrement que par la parole.

Le temps passe et les oreilles fatiguent. Aux alentours de 16h on décide d’arrêter cette immense improvisation. Après une pause bien méritée dans le studio chauffé à blanc les jeunes reviennent.

Nous avions remarqué qu’ils avaient envie de nous faire écouter et de faire écouter aux autres des morceaux. On prend donc un moment pour permettre ces écoutes. On commence par leurs morceaux, en essayant de savoir qui aime, pourquoi. Rapidement on remarque que l’effet du groupe a une forte influence, en effet on veut aimer et ne pas aimer les mêmes choses que ses copines et copains. Amaury et moi faisons alors écouter des musiques plus extrêmes (metal, musiques électroniques) afin de recueillir les avis. Nous sommes surpris de remarquer que les jeunes ont un avis assez analytique et ne sont pas dans le jugement de ces genres comme on peut s’y attendre.
Pour finir la journée, nous allons assister à un concert du trio Denasco, trio vocal féminin, qui a chanté aux jeunes deux pièces. Ils ont été très réceptifs et curieux d’en savoir plus sur ces trois femmes qui chantaient.

C’est dans cette atmosphère de retour au calme que se termine la journée et notre action. Les jeunes s’en vont avec le sourire et de la musique plein la tête, il me semble qu’au moins une part de nos objectifs est remplie »

     Amaury :
     "Troisième et dernier jour avec les jeunes du centre de la Croix-Rousse, c'est pendant une journée entière que nous allons travailler avec eux. Une journée entière de travail autour de la musique, c'est long... et ce même pour des musiciens dont c'est le métier. Il va falloir que l'on se positionne d'avantage dans une posture d'animateur, et que l'on prenne en compte leur demande, de manière à ce qu'ils comprennent que ce que l'on fait avec eux et pour eux. Au dernier moment, on nous a averti, qu'ils seraient au nombre de 11, ce qui encore une fois nous fait comprendre que l'on a beau préparer notre séance, elle ne se passera jamais comme nous l'avions imaginée et sera toujours le lieu d'une réadaptation constante.

Nous avons décidé de travailler en petit groupe. Evidemment, au vu du nombre de jeunes présents, ce que nous avions prévu d'appeler "petit groupe" se transforma très vite en "gros groupe", ce qui change la forme du cours.

Nicolas a très bien expliqué le déroulé de son groupe et de la mise en commun de notre travail dans le paragraphe précédent. Je peux, en revanche, parler de comment j'ai envisagé le rythme avec mon groupe et aussi comment nous avons pu récupérer en cours de route le travail du groupe de Nicolas pour faire une mélodie.

Dans un premier temps, nous devions créer une base rythmique avec les percussions à disposition. Chacun s'est très vite mis d'accord sur quelles percussions ils voulaient jouer (batterie éclatée, cymbales, congas, etc...). Sans avoir besoin de leur donner quelconque consignes, ils se sont mis à jouer un rythme qu'ils connaissaient. Deux soeurs étaient, à la fois, "intenables" et ressources. Si bien que leur rythme tiré, tout droit du Maghreb, a servi de base à la création des percussions. Tout le monde jouait le même rythme ! c'est alors que j'ai commencé à incorporer la notion de "Polyrythmie". Nous avons défini ce mot ensemble, et avons procédé à la création en s'appuyant sur cette contrainte musicale qu'est l'imbrication de plusieurs phrases rythmiques. Cela a vraiment bien marché ! Nous avons même eu le temps dans ce quart d'heure de travail de parler "d'entrée en escalier" pour bien qu'ils entendent et comprennent quel rythme joue chacun, et comment se placer sur eux.

Il est temps de changer de salle pour maintenant s'occuper des mélodies en reprenant le travail du groupe de Nicolas. Ils nous avaient laissé une grille d'accord. J'ai joué le mystère, en leur disant qu'ils nous avaient laissé un indice (comme un jeu). Ce qui a encore plus capté leur attention, lorsque j'ai commencé à leur expliqué comment ça fonctionnait. Je leur ai expliqué qu'il y avait des notes qui marchaient et d'autres qui ne marchaient pas. J'ai donc fait tourner les accords en boucle, et chacun leur tour ils ont troué une mélodie. Je leur ai donné la consigne qu'ils devaient trouvé une phrase qui se répète. Il y avait alors un travail de mémorisation et d'écriture (mental) qui s'est opéré : Ils devaient figer une phrase.

Le matin était passé.

L'après midi, nous avons décidé d'échanger les groupes avec Nicolas. J'étais toujours référent de l'atelier percussion et mélodies mais avec un nouveau groupe. Nous avons fonctionné exactement de la même manière que le matin. Cela a aussi bien marché !

Ils étaient tous fiers de montrer ce que chaque groupe avait composé dans la journée. Le groupe 1 montre ce qu'ils ont fait en percussion au groupe 2 et inversement. Et c'est à ce moment-là, sans forcément l'avoir prévu, que la musique s'est opérée entre tout le monde. Nicolas l'a très bien raconté juste au dessus ! C'est à ce moment-là que je me suis dit que notre action était réussie : au moment où chacun voulait jouer avec tout le monde. Tout le monde avait le sourire. Tout le monde voulait réessayer.

En fin d'après-midi, quand les oreilles se fatiguent, leur demande était d'écouter de la musique. A travers cette activité, nous avons voulu éveiller leur écoute critique et voir, à cette âge-là, quel regard ils peuvent porter sur une musique qu'ils aiment et n'aiment pas, et surtout justifier son avis. Nous avons fait écouter de nombreux styles (et mêmes les plus extrêmes). Ce qui était intéressant, c'était le moment où nous avons écouté un morceau de Imagine Dragons. J'ai demandé qui aimait ce morceau. Certains lèvent la main, mais pas tous. A ce moment là une des deux soeurs lèvent là main et voyant que ses copines et sa soeur ne la lève pas, elle la rebaisse aussitôt. C'était intéressant de constater à quel point la musique peut être un signe d'appartenance. Elle avait seulement peur du jugement et du regard de l'autre. 

Pour finir en douceur, ils ont assisté à la répétition du trio féminin le Trio Denasco. Ils ont été touchés et curieux par une musique qu'ils ne connaissaient pas et sont repartis avec le sourire. Une d'entre eux est même repartie en nous disant qu'elle voulait faire pareil que le Trio Denasco !

Conclusion

Il est important de savoir que nous ne sommes pas complètement étrangers au monde de l'animation. Nous avons tous les deux un passif dans ce domaine. Ce qu'il faut relever, c'est que peu importe si nous avons déjà effectué ce type d'intervention, chaque action est différente. Des choses marchent avec un groupe comme elles peuvent ne pas fonctionner avec un autre. Nous avons compris dans cette action que la caractéristique première de notre métier était l'adaptation. Nous avions beau prévoir et préparer nos séances du début à la fin, ce qui se passe réellement sur le terrain a une toute autre forme que ce qui est initialement prévu.

Aujourd'hui même si notre action a été remaniée, nous pouvons dire que nous avons réussi à nous adapter aux situations diverses que nous avons rencontrées, à rebondir sur les problématiques qui se sont présentées. Au bout du compte, nous sommes très contents de voir que notre action a eu lieu et d'autant plus voir les jeunes repartir avec le sourire.

 

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